Regard serein sur une icône nationale
Morges consacre une exposition au Général Guisan jusqu’au 31 août 2025
Nous nous sommes rendus au château de Morges avec une certaine appréhension. S’agirait-il d’une énième exposition hagiographique, présentant le Général comme le sauveur de la Suisse ? Eh bien non ! On a été « déçus en bien », comme disent les Vaudois, dont Henri Guisan fut un illustre représentant. La présentation, didactique dans le bon sens du terme, est surtout constituée de photographies en grand format, ce qui facilite leur lisibilité. Elles sont accompagnées de quelques objets (la casquette de Zofingien de Guisan, celle de l’officier général, sa tunique militaire en 1939, la selle de son cheval, quelques journaux de diverses opinions politiques), ainsi que de courts textes explicatifs dans les trois langues nationales. La démarche est diachronique, c’est-à-dire qu’elle traverse le temps, de 1874 à 1960. On suit d’abord la jeunesse et la formation du personnage, fils d’un grand agriculteur et notable de la région d’Avenches, puis la progression régulière de sa carrière militaire, de l’école de recrues en 1894 à son élection comme général le 30 août 1939. Un panneau particulièrement intéressant est consacré à l’entre-deux-guerres, avec la montée du fascisme et du nazisme. Leur équivalent helvétique – les Fronts nationaux – n’est pas oublié. Concernant 1939, les faiblesses et lacunes de l’armée (aviation, chars, armes antichars, DCA…) ne sont pas occultées, ni même le défaitisme qui a saisi la population et l’armée suisses après la débâcle française de mai-juin 1940. Dès lors, l’idée du Réduit national – certes militairement et humainement discutable car il exposait la population civile aux représailles de l’occupant – ainsi que le fameux Rapport du Grütli du 25 juillet 1940 prenaient leur sens.
Nous ne tomberons pas dans le travers de certains historiens qui se plaisent à « déboulonner » toutes les grandes figures de ce pays : ainsi le savant socialiste Auguste Forel ne serait plus qu’un « eugéniste », Le Corbusier un antisémite et un « fasciste », etc. Cela dit, la vision politique qu’avait Guisan de la Suisse était clairement conservatrice. On ne trouvera pas à Morges d’allusions à son admiration pour le maréchal Pétain et pour Mussolini dans les années trente… En revanche, les critiques qu’on a pu lui adresser (une certaine naïveté de croire qu’on pouvait « discuter » avec Hitler, les tractations secrètes avec l’armée française, avant sa défaite, à l’insu du Conseil fédéral, la rencontre avec le colonel SS Schellenberg) ne sont pas occultées.
Pas plus que le véritable complot pour acculer Guisan à la démission, ourdi par le commandant de corps Ulrich Wille – fils du très impopulaire général éponyme de 1914-1918 – et du colonel pronazi Gustav Daeniker, qui est clairement mentionné. Sans parler de « l’ennemi intime » de Guisan, le conseiller fédéral vaudois Marcel Pilet-Golaz, plus enclin aux compromissions avec le Reich. Les adversaires du général ne se situaient donc pas chez les socialistes et communistes, réputés antimilitaristes et « antipatriotes », mais dans certains milieux de l’extrême droite germanophile.
Le grand mérite du Général Henri Guisan, malgré ses ombres, fut certainement de faire la quasi-unanimité dans le peuple et dans l’armée suisses. L’exposition présente d’ailleurs des témoignages assez émouvants de soldats. Ainsi : « Il était différent de tous les officiers que l’on a connus, il était accessible et humain. » Il n’était pas perçu comme un « juteux » arrogant. Lui-même ne disait-il pas : « Nous devons toujours penser à la dignité des hommes que nous avons l’honneur de commander, car nous aurons peut-être à exiger d’eux le sacrifice suprême de leur vie » ? Cela explique l’immense popularité d’Henri Guisan pendant et après la guerre. Il était devenu une véritable icône nationale ! Sa photo figurait dans tous les bistrots et chez de nombreux particuliers. Or un récent téléjournal de la TSR a révélé qu’aujourd’hui beaucoup de jeunes, à qui l’on montrait son portrait, ne savaient pas de qui il s’agissait et même le confondaient avec… le général de Gaulle ! Devant ces lacunes historiques, on peut espérer que de nombreux adultes avec leurs enfants ou petits-enfants, ainsi que des classes d’école, iront voir cette exposition assez objective, où l’esprit critique n’est pas totalement absent.
On en profitera pour visiter l’ensemble du château savoyard de Morges datant de 1286, qui est en même temps le Musée militaire vaudois. D’abord la collection d’uniformes anciens et modernes. Puis celle des soldats miniatures figurant notamment dans la reconstitution en scénettes de grandes batailles de l’Histoire (par ailleurs le titre d’une remarquable série d’Henri de Turenne qu’on peut voir ou revoir sur YouTube). Signalons enfin les impressionnantes salles consacrées au développement de l’artillerie, des couleuvrines du XVe aux obusiers et canons du XXe siècle. Le monde n’a hélas jamais été une oasis de paix…
« Le Général Henri Guisan (1874-1960) », Château de Morges
Jusqu’au 31 août 2025