Qui est Bradley Birkenfeld ?
Laurent Vinatier | Un homme dangereux certainement par son incroyable capacité de nuisance, le pire justicier sans doute (ou l’un des pires) de l’hémisphère nord (pour rester modeste), un importun – ceux du 17e siècle – mais à la puissance infinie. On ne saurait dire, à écouter son interview diffusée samedi soir dans le 19:30, s’il est conscient de l’inanité morale de son initiative ou si une bêtise subreptice l’aveugle à son insu. Mais l’homme doit être habitué aux insultes et doit s’en délecter : ne lui faisons pas cet honneur. Rappelons ses faits d’armes : il est celui qui a témoigné sur les clients américains d’UBS auprès du Sénat américain et qui, selon ses dires, est à l’origine des poursuites contre le Crédit Suisse. Il se trouve aussi qu’il a empoché au passage près de 106 millions de dollars et a passé deux ans et demi en prison.
Il est une sorte de Robin des Bois qui prend aux riches pour redonner aux riches (à d’autres), tout en s’enrichissant lui-même. Tout cela dans une incohérence assez absurde. Il affirme par exemple « avoir suivi le secret bancaire suisse à la lettre, n’avoir donné aucun nom avant d’être convoqué par le Sénat américain ». Il est fier en somme d’avoir gardé un secret jusqu’à ce qu’on lui demande poliment de l’avouer publiquement. Pire ensuite : des noms qu’il a livrés, aucun n’a été poursuivi. En revanche son initiative a enclenché des procédures à l’encontre d’autres individus et lui-même a été incarcéré. Un peu comme si un dealer de drogue sous un pont appelait la police et dénonçait les dealers du pont d’en face (ou ceux qu’ils croient être des dealers) mais que la police sur le chemin croise d’autres individus suspects, les embarque tous y compris celui qui a appelé et qui a trouvé judicieux d’attendre.
Et dire que cet homme a travaillé 15 ans en Suisse pour UBS (ou pour d’autres) et est devenu gérant de fortune aux Etats-Unis pour cette même banque… Au-delà de ses nombreuses difficultés financières et judiciaires, il semble quand même que le principal problème d’UBS soit le recrutement et le management des ressources humaines. Il serait bon aussi éventuellement de s’intéresser à la petite question des conflits de loyauté juridique et à celle afférente de l’extraterritorialité du droit américain qui commence à sérieusement nuire à la liberté de tous. Entre deux droits opposés lequel suivre et quels contrevenants dénoncer ? Il y aurait bien la tentation humaniste et libérale de ne dénoncer personne, de s’occuper de soi, d’éviter de trahir quiconque au nom d’une bonne cause qui n’est sans doute pas meilleure qu’une autre. A priori, comme le révèle le cher Bradley Birkenfeld, n’est pas justicier qui veut.