Portrait – Gérard Fonjallaz, ancien ambassadeur
Ce qui rend la vie intéressante, ce sont les rencontres avec des personnes provenant de pays aux coutumes et à la mentalité très différentes des nôtres
Propos recueillis par Christian Dick | Issu d’une famille de vignerons bien connue à Epesses, passionné par la politique et les voyages, Gérard Fonjallaz, GF par la suite, a effectué des études de Sciences politiques à l’Université de Lausanne avant d’entrer au Département des affaires étrangères. Sa carrière diplomatique commence en 1964 à Berne avec un stage dans différents services puis comme attaché d’ambassade à Vienne. De retour à Berne, il a travaillé dans la section des transports et communications, s’occupant d’accords aériens et routiers, puis dans la section des oeuvres d’entraide internationale.
En 1970, il s’envole pour Bogota en qualité de deuxième secrétaire d’ambassade. Le régime était présidentiel. Les partis du libéral Carlos Lleras Restrepo et du conservateur Misael Pastrana se sont, depuis 1958, partagés le pouvoir en alternance à la suite d’une guerre civile cruelle.
En 1975, GF a reçu l’ordre de se rendre à Lima où avait lieu la conférence des Nations Unies pour le développement industriel. Il y resta deux ans comme
premier secrétaire sous un régime militaire modéré.
En 1977 comme conseiller d’ambassade, il découvre en Argentine un gouvernement militaire fascisant. Les exactions étaient terribles avec 15’000 disparus,
peut-être le double. Exposé depuis qu’il s’occupait des Droits de l’Homme, il a été suivi pour l’intimider. Il y a connu trois juntes militaires, la première du général Jorge Videla qui destitua Isabel Peròn et lui succéda, la deuxième du général Viola et la troisième du général Galtieri qui provoqua la guerre des Malouines. Isabel Peròn, la 2e épouse du général Peròn, connaissait mal la politique. La première, Evita, avait laissé un souvenir impérissable dans le peuple.
En 1980, GF a été nommé chef de la section du personnel du Département des affaires étrangères à Berne.
Promu ambassadeur au Pérou et en Bolivie en 1984, GF a visité des projets de la Coopération technique, concrets, efficaces et appréciés qui valaient à la Suisse beaucoup d’estime au Pérou. Notre pays avait mis en place un projet d’environ 80 fromageries, lancé une formation professionnelle dans l’horlogerie et la fine mécanique, amélioré des outils d’indigènes et l’infrastructure des ports pour faciliter l’accès à la mer. A cette époque sévissait la menace terroriste du Sentier Lumineux. La coopération technique n’existe actuellement plus en Amérique latine, peut-être à tort. GF a connu au Pérou deux chefs d’Etat,
Fernando Bellaunde Terry auquel il a présenté ses lettres de créance et Alan Garcia dont le gouvernement de gauche modérée était mal vu des Etats-Unis. « Pour plaire aux Etats-Unis en Amérique latine, il faut lui être proche par les idées, avait dit un jour un professeur d’université à Lausanne, tandis que si vous n’êtes pas contre l’URSS, elle estime que vous êtes avec elle. » La nuance est de taille. Ce que les Etats-Unis n’ont pas voulu comprendre, c’est que les Péruviens
rejetaient le capitalisme et le communisme, voulant se situer entre les deux. A La Paz, où il a connu trois chefs d’Etat, il fallait adopter un rythme lent, l’ambassade se trouvant à 3600m.
En 1989, GF a été appelé en Thaïlande en même temps qu’au Laos, au Vietnam (une année), au Myamar (Birmanie) et au Cambodge (les deux dernières années). Il a vécu à Bangkok le coup d’état des militaires chassant du pouvoir le premier ministre Chatchai Chunhawan, ancien ambassadeur en Suisse. GF a remis au roi Bhumibol, qui parlait le français avec un léger accent vaudois, une documentation de la commune d’Epesses sur les glissements de terrain à Lavaux, le souverain s’intéressant aux travaux pour retenir la terre. Lors de sa visite d’adieu, le roi a évoqué le temps où il vivait à Lausanne avec sa famille, ne pensant pas régner un jour car son frère, décédé par la suite, était l’aîné. Lors du dernier voyage en Suisse de la mère du roi, l’ambassadeur et son épouse étaient les seuls étrangers à l’aéroport et les seuls debout. Le peuple était à genou en guise de respect. La Thaïlande est une monarchie constitutionnelle mais connaît un protocole de monarchie absolue. Le Laos était un pays tranquille gouverné par le parti communiste, mais la terre appartenait à des petits propriétaires.
En 1992, GF a assisté aux obsèques du président Kaysone Phomvihane qu’il avait connu à son arrivée comme premier ministre. Des danses et des ballets ont rythmé la nuit dans une atmosphère particulière tandis que son corps était incinéré. Les cendres ont été dispersées le lendemain dans le Mékong. GF a aussi rencontré le prince Souphanouvong dit le rouge, un des principaux dirigeants du parti communiste. Le pays était alors présidé par Phoumi Vongvichit qui avait participé aux accords de Genève. Laotiens et Vietnamiens étaient reconnaissants à la Suisse de ces accords qui leur avaient permis d’accéder à l’indépendance. Prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, du Myamar, a été critiquée à cause de son attitude envers les Rohingas. GF a demandé en vain à la rencontrer lorsqu’elle se trouvait en résidence surveillée. Même son époux et ses fils n’ont pas été autorisés à la voir. Le général vietnamien Vo Nguyen Giap, vainqueur en 1954 à Dien Bien Phu contre les Français, avait dit à GF que la Suisse devait conserver sa neutralité, utile au monde. Il fut un grand stratège, longtemps ministre de la défense sous Ho Chi Minh puis vice-premier ministre. Le roi Sihanouk du Cambodge lui a demandé de poser les questions qu’il voulait, fait rare de la part d’un monarque. « Monseigneur, pourquoi cette alliance avec les Khmers rouges ? » Il a répondu qu’il les détestait à cause de la disparition de membres de sa famille, mais qu’ils étaient comme lui des patriotes malgré le massacre de populations.
En 1993, GF a présenté ses lettres de créance au président mexicain Salinas de Gortari auquel succéda Ernesto Zedillo. Ce dernier remplaça le candidat officiel Colosio, assassiné durant le séjour de GF au Mexique. Ce pays aux coutumes latines fait partie de l’Amérique du Nord. Il est nationaliste et indépendant en politique étrangère. GF fut également ambassadeur au Bélize, en Jamaïque, en République dominicaine et à Haïti. Il se souvient bien du président de la République dominicaine Joaquin Balaguer, de droite modérée. Pratiquement aveugle, cet homme de 90 ans faisait ses discours de mémoire à la Chambre des députés. Ecrivain, il dictait ses livres et, méfiant à l’égard les Noirs, voulait éviter qu’ils gouvernent le pays. Haïti peinait à sortir de la pauvreté. GF avait recueilli l’impression que ce pays était mûr pour une mise sous tutelle de l’ONU. Il était alors dirigé par le père Aristide, un ancien prêtre, les Duvallier ayant gouverné le pays plusieurs années auparavant..
GF a présenté en 1998 ses lettres de créance au président indonésien Habibie qui gouverna jusqu’aux élections remportées par Abdurrahman Wahid l’année suivante. Il a été destitué en 2001. La vice-présidente, fille de Soekarno, a pris la présidence selon un accord consistant à gouverner chacun la moitié d’un mandat de 5 ans. Soeharto avait fait tomber son père, ensanglantant le pays avec un mio de morts, surtout des Chinois. L’Indonésie est un pays musulman qui comptait 17’508 îles et beaucoup de dialectes. Adoptée comme langue nationale, le Bahasa indonésien est parlé par une minorité de Sumatra. Chez nous, GF verrait bien le romanche comme langue d’unité nationale car parler la langue d’une minorité ne donne pas le sentiment de s’abaisser. La dernière mission de GF a été de représenter le Conseil fédéral aux cérémonies marquant la fondation du nouvel Etat du Timor oriental, après une longue guérilla. La carrière de GF, débutée avec le conseiller fédéral Wahlen s’est terminée en 2002 avec Joseph Deiss. Il se rappelle bien de Pierre Aubert, le seul à s’être joint au déjeuner annuel des anciens ambassadeurs. GF a œuvré en tout 8 ans en Asie, 20 en Amérique latine, 9 à Berne et 1 en Autriche. Il a été ambassadeur pendant 18 ans et a eu la chance d’être accrédité dans plusieurs pays en même temps. Il a présenté 13 fois ses lettres de créance à des chefs d’Etat. Guerre froide et coups d’état, l’époque fut passionnante. « Ce qui rend la vie intéressante, ce sont les rencontres avec des personnes provenant de pays aux coutumes et à la mentalité très différentes des nôtres », déclare GF à la fin de l’entretien. C’est précisément de maintenir un regard éveillé sur le monde qui agrandit la vision qu’on en a.