Où va la presse ? Désert médiatique, désert politique
Le mot de Pado

Pierre-André Dupertuis | On peut dater le début du déclin de la presse romande au 13 mars 1994 avec la disparition de La Suisse. Celle qui fut à son apogée le plus grand tirage de Suisse romande est victime de la concurrence que se livrent alors son éditeur Jean-Claude Nicole et la famille Lamunière du groupe Edipresse, propriétaire entre autres de 24Heures et, depuis 1991, de la Tribune de Genève. Vingt ans plus tard, cette même famille allait céder ses titres au groupe zurichois Tamedia. Dans l’Est vaudois, on avait assisté à un phénomène identique lorsque l’Est vaudois absorbait le Journal de Vevey pour créer La Presse Riviera Chablais, avant que son propriétaire, le groupe Corbaz, ne vende fort opportunément son affaire à Edipresse en 2003. Notre génération se souvient encore de L’Hebdo, une histoire de 35 ans à laquelle l’éditeur Ringier a mis un terme en 2017.
Si des nouveaux titres sont apparus, ils ont été le plus souvent le résultat de fusion-disparition, comme Le Temps, nés des cendres de la Gazette de Lausanne, du Journal de Genève et du Nouveau Quotidien.
Comme le Sahara, le désert médiatique avance sous l’effet de l’assèchement des revenus publicitaires et de l’évolution des habitudes de lecture, lesquelles sont détournées vers internet et les réseaux sociaux. Un autre clou dans le cercueil de la presse traditionnelle a été l’apparition des gratuits, comme 20 Minutes, en passe de disparaître à leur tour après avoir essoré leurs concurrents traditionnels, souvent en mains des mêmes éditeurs.
Quant à ceux qui restent, surtout s’ils ont eu la malchance de tomber dans l’escarcelle de Tamedia, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. L’ancienne Tribune de Lausanne, fondée en 1893, devenue Le Matin en 1984, ne paraît plus qu’en version numérique depuis 2018. Quant à 24Heures, né « Annonce et avis divers en 1762 », devenue Feuille d’Avis de Lausanne en 1798, il fait peine à avoir avec ses faméliques vingt pages quotidiennes, parfois directement traduites de l’allemand. Dans les années 80, son édition du samedi comptait plus de 80 pages. Quantité ne fait pas forcément qualité, mais tout de même… Reste Le Matin Dimanche, jusqu’à quand ?
Voilà pour le constat. Parlons des conséquences sur le terrain local.
La démocratie vit de la pluralité, qu’elle soit politique ou médiatique. Elle se nourrit également de la proximité. Or, l’échelon communal, cellule de base de l’édifice institutionnel suisse, est de plus en plus délaissé par les médias traditionnels. A cet égard, notre Courrier fait figure de notable exception en donnant une large place aux assemblées communales et aux informations locales, avec le risque toutefois de n’intéresser que le public
directement concerné et forcément restreint.
En fait, l’information gratuite dont nous sommes submergés aujourd’hui via les supports numériques n’est plus qu’un gros magma, car elle ne s’accompagne d’aucun effort de hiérarchisation ou de mise en perspective. Parce que la gestion de la cité est affaire complexe et doit être explicitée, ce phénomène éloigne les politiques de leurs électeurs et de la population en général. Pas étonnant que le sentiment « ils nous cachent des choses » soit aussi fort, alors que jamais ils n’ont communiqué de façon aussi ouverte, notamment sous l’effet des lois sur la transparence.
Lorsque la presse quitte le terrain local, d’autres prennent le relais, maîtres des réseaux sociaux communicants ou autres donneurs de leçons, qui façonnent le récit public et ne sont soumis à aucun contrôle, eux. Il ne faut pas s’étonner dès lors si, à force d’être éreintés sur les réseaux, les élus sont de plus en plus nombreux à renoncer à leur mandat et les candidats de moins en moins nombreux à postuler.