Où va la presse ? À qui la faute ?
Le mot de Denis Pittet

Denis Pittet, journaliste | En 1985, tout le monde tape encore à la machine dans les rédactions. En 1987 ou 88, les plus hardis lisent « Le Grand Livre du MS-DOS ». L’informatique débarque dans la vie des gens et comme une rédaction est la vie des gens, elle débarque dans les rédactions. Je me souviens parfaitement bien que l’informatique n’était pas un sujet de discussion. Tout au plus un sujet de curiosité. Les premiers PC avaient au mieux deux disques durs de 20 mégas chacun et un écran VGA ou super-VGA quand tout allait bien. En 1991, les trois lettres WWW font une apparition discrète. En 1993, premier navigateur. En 1996, on parle de 36 millions d’ordinateurs connectés dans le monde. En 2000, la bulle Internet explose. Avant cela il convient de rappeler l’existence du Minitel dès 1982 en France et du Vidéotexte en Suisse avec comme vecteur de transmission les lignes téléphoniques.
Bref. En moins de 10 ans, le changement est si brutal et si rapide que chacun s’adapte comme il peut. Edipresse lance Edicom et, de manière visionnaire, le ferme en 2002 pour se concentrer sur les sites des journaux (qui existent encore, donc). Je pense qu’on pourrait multiplier à l’envi les exemples de modèles et les tentatives de trouver LA solution à la fois intelligente, rédactionnelle, économique et viable pour appliquer la révolution technologique au modèle des journaux. En réalité, la révolution technologique n’avait rien avoir avec les journaux au départ. D’un côté on avançait à une vitesse vertigineuse et de l’autre on essayait de s’adapter avec plus au moins de bonheur. Dans un raccourci saisssant, on dira aujourd’hui, 30 ans après, que le bilan n’est pas
forcément flatteur pour les journaux et pour les journalistes.
Il faut revenir sur un élément central : lors de la ruée sur Internet et sur les nouveaux canaux de communication, il y avait une contrainte majeure, à savoir la longueur des texte diffusables sur le Net. Souvenez-vous de la furie SMS ! Les éditeurs n’avaient de cesse de diffuser des SMS sur le NET. Cent-soixante signes maximum ! Je me demande donc si l’exigence d’écrire court vient de cela ? Car oui, la vertu d’écrire court est devenue cardinale. Il fallait être à la fois complet, précis, intéressant et… court. Les modèles de 20 Minutes, du Matin Bleu, du Matin orange dans une certaine mesure exigeaient donc une écriture ramassée. On débouche donc sur la question suivante ; peut-on être suffisamment intéressant et complet en écrivant court ? J’ai mon avis sur la question.
Et les journalistes là-dedans ? D’un côté ils se sont vus imposer des modèles dont ils ne partageaient pas forcément l’essence. Dans les années 2000 – années clé, donc – ils ne se sont pas approriés le Net. Ils l’ont rejeté. Combien étaient-ils à chercher à se réfugier là où on pouvait encore s’étaler sur des pages entières ? Et combien n’étaient-ils pas à chercher à s’approprier le Net, et donc à pouvoir peut-être en infléchir la forme ?
Le reste est comme une avalanche qui a tout emporté sur son passage, en particulier naturellement le modèle ancestral de financement des journaux, à savoir la publicité. Aujourd’hui, on connaît le triste bilan de toute cette affaire. Et tout cela est bien loin d’être terminé avec, naturellement, l’arrivée de l’IA, qui ne porte d’intelligent que son nom.