Opinion
« Le Mystère Davel » ou enfin une lecture féminine du héros vaudois
Gilbert Coutaz, directeur honoraire des Archives cantonales vaudoises | Nathalie Pfeiffer qui a signé le texte et la mise en scène, est la première femme à s’approprier Davel avec ses zones de lumière et d’ombre. Elle n’entend pas donner un cours d’histoire ni muséifier la figure. Elle s’attache à sonder le parcours de vie d’un homme d’ici, qui a osé braver, seul, le pouvoir. Elle l’interpelle sur ses silences, questionne la postérité et dépasse les achoppements des historiens.
Son audace : convertir l’invraisemblable en vraisemblable. Ses atouts : faire de Cully son unité de lieu, utiliser les gens du coin et la place d’Armes d’où les soldats du département militaire de Lavaux ont débuté leur marche sur Lausanne. L’espace n’a pas changé depuis le 31 mars 1723.
Alors, l’autrice imagine des tableaux dans un tel écrin qui lui offre vignes, lac et montagnes. Qui plus est, les arbres, au premier plan, sont plantés non loin de l’obélisque érigé en 1841 en l’honneur de Davel – il fait écho au platane de la liberté de 1798. Elle met ainsi à bonne échelle le rapport entre le héros et son environnement général, reproduit dans la soixantaine de rôles. Elle distille son ressenti d’aujourd’hui dans l’alternance de scènes historiques et actuelles, remonte le temps et mêle le rire et le tragique. La lumière, les voix et des fleurs colorent les scènes.
La trame est tissée de deux fils rouges. L’un est tiré par le dialogue entre le bougon Philippe Bugnon et l’activiste déboussolé, Daniel Sylvestre, l’autre suit la transmission du coffret contenant des documents secrets sur Davel. Ainsi se croisent Davel et son fils Paul Grel, les libraires et imprimeurs Hignou et le Frédéric-César de La Harpe de 1805 et de 1838 (les deux temporalités sont juxtaposées dans la même scénographie), Juste Olivier et le grand-père de Philippe Bugnon qui découvrit la cachette de la boîte sous l’obélisque. C’est son petit-fils qui la confia à Daniel Sylvestre. Ce dernier comprit alors qu’il était le descendant de la nièce du Major, Anne-Elisabeth, femme de Claude Forestier (ainsi va l’histoire !). Dans le défilé des protagonistes de l’entreprise et de l’héroïcisation de Davel relevons l’affiliation qui lie La Harpe, Ramuz et Davel et la distance qui sépare le félon et arrogant Jean Daniel Crousaz et son ancien compagnon d’armes.
La pièce élucide plusieurs mystères. Le revanchard Philippe Bugnon a bouté le feu au tableau de Gleyre en 1980, à Lausanne, et à la salle Davel en 1995, à Cully. La tête de Davel a été volée par ses nièces. Elle a été remplacée par un pastiche anti-bernois de son fils. De la rencontre de Davel et de la Belle Inconnue, un enfant est né. Son père apprend son existence en 1711. Quant à la mère dont on a perdu la trace, son identité est percée : cévenole, elle se nomme Isméralda Grel.
Les fêtes villageoises (1923, 1723, 1691), les rapports des chefs
pompiers (1980 et 1995), flanqués d’un camion-pompe rutilant de 1954, l’officine de l’apothicaire-faussaire Mercier et l’aparté amoureux de Davel et de sa bien-aimée sont des temps forts du spectacle.
Pour le final, Daniel Sylvestre revient sur scène, cette fois-ci en rappeur, chantant les valeurs universelles de son ancêtre. Il entraîne dans son sillage tous les acteurs, Davel et ses deux officiers à cheval.
Au bilan, « du jamais vu, du jamais lu ». Le public est rassuré : Davel a pris un coup de jeune et continue à résonner dans les esprits.