Nos rivières deviennent des cimetières
La sécheresse provoque une mortalité inédite de la faune piscicole. Face aux lits des cours d’eau qui se vident à vue d’œil, les autorités environnementales tentent de sauver ce qui peut l’être encore. Reportage.
Texte et images Thomas Cramatte
« Nous arrivons déjà trop tard, des milliers de poissons sont déjà morts », constate Cédric Henry lors d’une intervention de sauvetage dans le Forestay à la hauteur de Puidoux. Pour le garde-pêche responsable d’une partie des cours d’eau de Lavaux, la situation est sans précédent. En fonction depuis onze ans à la DGE (Direction générale de l’environnement), jamais il n’avait vu une telle hécatombe.
Malgré l’ombre générée toute la journée par les arbres qui longent ce ruisseau, la température de l’eau est trop élevée : « Au-delà de 20 degrés, écrevisses à pattes blanches et truites farios subissent déjà un stress. Dès 24 degrés, leur vie est menacée. Je vous laisse imaginer à 27 ». Ces températures élevées empêchent une oxygénation de l’eau.
Manque d’oxygène
L’hypoxie représente une spirale infernale pour les habitants des rivières. Faute de courant, l’eau n’est plus brassée et ne présente plus suffisamment d’oxygène pour les poissons. Avec l’abaissement du niveau des eaux, les vertébrés sont pris au piège et se retrouvent coincés dans des ruisseaux où l’or bleu ne circule plus : « Nous avons vu des centaines de truites en train d’agoniser à la recherche d’oxygène », se remémore Frédéric Aebi, membre de l’école de pêche à Servion.
Comme très souvent dans la nature, tout un écosystème souffre lorsqu’un maillon est absent : « Moins il y a d’eau, plus celle-ci se réchauffe vite, moins elle est oxygénée. Sans compter le manque de brassage des polluants », précise Louis Deslarzes, garde-pêche responsable de la ville de Lausanne et de la région Jorat-Mézières. Si pour l’heure les autorités environnementales sauvent ce qui peut l’être encore, un des meilleurs remèdes serait un changement de saison : « Il faudrait vraiment que les températures baissent et que la pluie arrive », ajoute Cédric Henry.
Solutions
Avec cette sécheresse, tout le travail de rempoissonnement et d’amélioration des eaux des années passées semble avoir été vain. Mais pour le garde-pêche, la nature se fragilise au fil des épisodes de sécheresse (en 2018, le manque de pluie s’était déjà fait ressentir), mais possède aussi de grandes qualités d’adaptation. Ainsi, dès que l’eau fera son retour dans les rivières, les poissons déplacés par les garde-pêches repartiront en amont pour retrouver leurs lieux de vie habituels : « Les poissons ont un esprit colonial, dès que leur espace redevient accessible, ils y retournent. C’est ce que l’on appelle « le homing ».
Le plus important pour le professionnel est de veiller à maintenir toutes les classes d’âge de l’animal dans le futur : « Il faut deux à trois ans pour les truites avant d’avoir une majorité sexuelle ».
Si les pêches électriques permettent de limiter la casse, d’autres solutions sont envisageables. Pendant longtemps, seules les questions économiques et sécuritaires étaient prises en compte en matière d’aménagement des rivières suisses. Protection contre les crues, canalisations et enterrement de nombreux cours d’eau, sans oublier le drainage agricole. Les pêcheurs qui constatent les détériorations des cours d’eau, année après année, exigent un changement du point de vue politique. C’est du moins le cas pour Frédéric Aebi : « L’homme est-il vraiment obligé de s’approprier l’intégralité de l’eau lors du captage d’une source, ne pourrions-nous pas en redistribuer une partie ? », s’interroge-t-il.
Depuis plusieurs années, on entend souvent parler de renaturation des cours d’eau : « Notre regard sur les rivières a changé. Des travaux de remaniement permettent de redonner leur espace aux rivières », informe Cédric Henry. Pour son collègue de la DGE, le changement climatique nous oblige à reconsidérer la rivière : « De nombreuses interventions ont déjà porté leurs fruits. Comme la renaturation de la Broye entre Lucens et Granges-près-Marnand », ajoute Louis Deslarzes. Favoriser une dynamique naturelle des rivières, voilà en quoi consistent ces interventions humaines. A l’image de la Broye aux abords de Lucens, 37 kilomètres de cours d’eau ont ainsi été renaturés dans le canton depuis 2010. Faire machine arrière en supprimant digues et canaux, refroidir l’eau en replantant des arbres, tout cela dans le but de redonner leur santé d’antan aux cours d’eau du pays. Une question reste cependant en suspens : n’est-il pas trop tard ?
Du côté des pêcheurs
Les pêcheurs sont aux premières loges quant aux ravages du changement climatique. Si la pratique de la pêche en rivière connaît un certain regain d’intérêt (surtout depuis la pandémie), cela diminue également l’effectif des poissons dans les cours d’eau.
Pour protéger la faune de nos rivières, les méthodes de ventes des magasins spécialisés changent : « Mieux vaut perdre des ventes aujourd’hui, plutôt que de perdre les richesses des rivières locales », avoue Yann Chenaux, gérant d’un magasin de matériel de pêche installé à Servion. La situation est telle, que ce dernier ne serait pas contre une éventuelle interdiction d’accéder aux rivières pour sauver leurs habitants.