Muséum d’Histoires au naturel
Mission impossible au musée, par la Compagnie Cabaret Non Conforme au Café-Théâtre de la Voirie de Pully
Face aux grandioses productions théâtrales et musicales qui se multiplient dans les grandes salles, face aux propositions spectatorielles expérimentales et novatrices qui pullulent de droite et de gauche, quelle est encore aujourd’hui la place de la production amateure dans le paysage culturel romand ? Là où les exigences qualitatives vont croissantes, faire sa place n’est pas toujours chose aisée, qui plus est avec des artistes qui ont, en parallèle, une activité diurne déjà bien fournie. Est-ce à dire qu’on pourrait finalement tout aussi bien se passer des spectacles amateurs ?
Ce n’est clairement pas le sentiment qui domine à la sortie de Mission impossible au Musée, mashup un peu foldingue de danse, de musique et de théâtre, dernière production de la Compagnie Cabaret Non Conforme, présentée du 25 au 29 janvier, puis maintenant du 1er au 4 février au café-théâtre de la Voirie à Pully. On y suit une rocambolesque histoire d’art et d’espionnage mâtinée de chorégraphies
de toutes sortes, de performances vocales enflammées et de scènes frôlant le burlesque. Un spectacle dirigé par Patricia Bosshard, dite « Patou », professeure de danse au Centre Igokat à Lausanne, accompagnée sur scène par onze autres danseuses et deux comédiens (dont la toute jeune Romane, huit ans).
Institutrices, secrétaires, esthéticiennes… A l’exception de leur professeure, nulle présence ici de professionnelles des arts du spectacle. Quant au lieu, tout charmant qu’il soit, il n’est initialement pas prévu pour la danse et n’offre évidemment pas le même espace scénique que l’Octogone ou qu’une salle du Théâtre de Vidy.
Dans ces conditions, atteindre la qualité d’un Béjart Ballet serait évidemment illusoire. Mais est-ce vraiment l’effet recherché ? Sans doute pas. Peut-on au contraire y trouver quelque(s) chose(s) que l’on ne trouverait jamais au Béjart Ballet ? Sans doute oui. D’abord parce que, en opposition avec un monde de la danse où tous les corps sont formatés dans le même moule, où tout danseur est préparé à exécuter n’importe quelle figure, où le poids des ans devient vite rédhibitoire, on découvre ici douze femmes de morphologies, de compétences et d’âges
résolument différents. Que cette diversité fait du bien! Ce ne sont plus les danseuses qui s’adaptent aux chorégraphies, mais les chorégraphies qui s’adaptent aux danseuses selon les forces et les faiblesses de chacune, et ce petit détail change tout. On a de fait droit à un spectacle unique, où le moindre pas a été pensé en fonction de celle qui l’exécutera, rendant le tout d’une humanité débordante.
A cette humanité se joint un enthousiasme et une générosité contagieux. Loin des visages fermés, crispés, concentrés des professionnelles, les douze danseuses arborent, tout au long de l’heure de représentation, un sourire captivant. De la présence sur scène de chacune, ne ressort que l’évident plaisir d’un moment partagé avec le public. Et quand bien même aperçoit-on parfois un pas de côté, une petite erreur de placement où une note prise un quart de ton trop haut, ces petits accrochages font partie intégrante du spectacle et se voient vite excusés par cette joie on ne peut plus communicative.
Enfin, et c’est peut-être là l’élément le plus important et celui qui justifie pleinement le besoin de productions amateures comme celle-ci dans notre paysage culturel, si une chose ressort de façon éclatante de cette Mission impossible au Musée, c’est bien la hardiesse et l’audace de celles et ceux qui la mènent. Se présenter devant un public n’est jamais chose facile, qui plus est dans un lieu aussi intimiste que la Voirie, où les spectateurs sont au plus proche des artistes. La danse, art où l’on expose son corps comme nulle part ailleurs, rend la tâche encore plus ardue. C’est pourtant sans se démonter que les quatorze performeurs et performeuses du soir osent dévoiler un peu de leur intimité et glisser subrepticement et avec humilité, glisser ces quelques mots d’encouragement au public : « Si je suis capable de le faire, alors peut-être que vous aussi ».