Mon Lavaux à moi…
« En contemplant ce paysage, je me surprends à croire en Dieu ! » Simple boutade ou pensée profonde, je ne me souviens plus où et quand j’ai entendu ces mots, teintés d’accent vaudois, qui m’avaient arraché un sourire. Mais, ils surgissent souvent dans ma tête lorsque je parcours la route de la Corniche, ou celle qui, de Vevey, me remonte vers le lac de Bret, en passant par Chexbres et Puidoux. Sur ces chemins, mille fois sillonnés en voiture, les yeux rivés sur l’étroit ruban d’asphalte de crainte de me ramasser un mur, mon regard m’échappe parfois et je bute sur la tentation prégnante d’un arrêt prolongé… Pour flâner et embrasser l’immense spectacle des vignes, des villages, du lac et des montagnes.
N’en déplaise aux panneaux « Vendanges – Circulation difficile », je n’ai vu personne sur les vignobles en terrasse, en ce premier dimanche d’automne. Le soleil matinal inondait les coteaux, exaltant les couleurs de ce tableau saisissant dont je n’arrive jamais à me fatiguer. Il me caresse les yeux, me soulève l’âme et me console de ces petites discordances du quotidien, le temps d’un regard émerveillé. Comment ne pas songer alors à ceux qui, en complicité avec la nature, l’ont façonné, puis choyé pendant des siècles, afin qu’il nous parvienne, presque intact, malgré les cicatrices laissées par les morsures de la modernité.
D’autres que moi pourraient bien mieux raconter l’aventure, il y a quelque 900 ans, de ces moines, et d’autres peut-être avant eux, portés par leur foi et les desseins d’un évêque inspiré, qui défrichèrent ces terres, nivelèrent les sols, puis façonnèrent ces murs de pierres entre lesquels ils plantèrent des vignes ; là où quelques dizaine de milliers d’années plus tôt, le glacier du Rhône avait creusé le lit du lac et sculpté ses contours escarpés. Lorsque la glace se retira, les lieux étaient constellés de pierres et de roches. Les frères en firent bon usage. Leurs successeurs furent chassés de ces terres par la Réforme. Elles allèrent aux devanciers de ceux qui les vendangent aujourd’hui.
D’autres que moi pourraient bien mieux chanter les saveurs du Chasselas qui, depuis des siècles, règne en maître sur les balcons de ce vignoble d’exception. Et qu’importe son origine, sujet de controverses et d’interrogations. Tout comme le sol qui les a nourri, les grappes et les vins de ce cépage « indigène » ont forgé l’identité réjouie et le savoir-vivre de ce coin de pays. Les querelles sont rares parmi celles et ceux qui ont appris à faire tinter de concert leurs verres sur les terrasses ou dans les bistrots et les caves du coin…
Lorsque des amis où des parents, venus de loin, me rendent visite, je ne manque jamais de les emmener au milieu des vignes qui dominent le Léman, à l’heure où le soleil entame splendidement son coucher, là-bas, du côté du Jura. En entendant leurs exclamations admiratives, j’éprouve de la fierté, voire une pointe d’orgueil ; avec le sentiment assuré de leur faire découvrir un bout de « chez moi » … Mon Lavaux à moi !
Moi qui suis né à Athènes, sur les rives de la mer Egée…
http://www.romanduvin.ch/histoire-du-vignoble-suisse/