Le livre des solutions, de Michel Gondry
Michel Gondry revient sur le grand écran avec l’histoire d’un réalisateur qu’un trouble psychique empêche de travailler sur son film. Incarné par Pierre Niney, le jeune homme est aussi comique que tragique.
Fuir Paris pour monter dans les Cévennes
Représenter un trouble psychique au cinéma requiert de décider si ce dernier sera perçu du point de vue de la personne qui le vit ou de l’extérieur. Dans son nouveau film, Michel Gondry décide vraisemblablement de jouer avec cette tension en montrant la vie erratique de Marc (Pierre Niney), un trentenaire dont les idées sont embrumées par un traitement médical qu’il ne supporte plus. Le film s’entame ainsi sur une course poursuite : celle du réalisateur et de son équipe décidant de fuir Paris avec leur matériel de montage bien vite empaqueté dans un fourgon, pour aller le finir à leur guise dans les Cévennes, chez Denise, la tante du protagoniste. Cette tante très sensiblement incarnée par Françoise Lebrun donne de la profondeur au personnage enfantin joué par Pierre Niney, en venant assumer un rôle parental dont il semble avoir profondément besoin. Denise n’aura ainsi de cesse de lui rappeler de s’excuser auprès des gens qu’il blesse. Car des gens, Marc en blesse sans arrêt : la liste de ses ennemis ne fait que s’allonger durant l’heure et demie que dure le film. Dans la maison des Cévennes se recrée ainsi une sorte de cellule familiale, dans laquelle le réalisateur prend le rôle d’enfant prodige un peu gâté, que sa monteuse et son assistante se retiennent d’envoyer bouler, à la manière de deux grandes sœurs patientes mais épuisées. En marge de l’histoire se déploie ainsi un questionnement que le film garde sous silence : hormis Denise, qui sont les proches de Marc, lui qui semble terriblement sans ancrage ? Alors que le film reste flou sur le trouble psychologique de Marc, ainsi que sur ce qui l’a causé, ce semblant de cellule familial parle de lui-même.
Camiontage et code de conduite
Le désencrage du protagoniste lui permet néanmoins une créativité frénétique une fois les médicaments jetés aux toilettes. Alors que sa monteuse Charlotte, incarnée par Blanche Gardin (qui se révèle encore une fois sous un jour nouveau, en alliée patiente et tendre) tente laborieusement de finir le film, Marc multiplie les idées loufoques, procrastinant le visionnement de son film jour après jour.
Les inventions géniales se multiplient : Marc construit un « camiontage » pour Charlotte dans lequel il suffit de klaxonner pour couper une séquence du film, lui achète une maison, dirige un orchestre en dansant alors qu’il n’a jamais fait ça auparavant… Il s’agite, se perd, mais tente en même temps de se trouver un code de conduite en entamant la rédaction de son « livre des solutions », entamé probablement il y a de nombreuses années mais qui ne comportait jusqu’alors que des pages blanches – symbolisant là encore le manque de cadre du protagoniste. Le montage de son film loin de Paris apparait dès lors comme un prétexte pour Marc : obligées de rester pour monter le film et l’assister, Charlotte et Sylvia l’accompagnent en réalité dans une phase maniaque que Marc ne peut gérer seul. Le montage du film devient ainsi un prétexte pour suivre le chemin initiatique de ce jeune homme en fuite. Le long-métrage de Gondry est ainsi une ode au génie non canalisable, alliant l’aspect humoristique de cette non-maîtrise à son aspect tragique.
Le génie du maudit
Sans filtre, Marc s’autorise souvent à parler sans réfléchir, ce qui donne au film un aspect vraiment comique. Alors que Charlotte a fait venir son assistant monteur Carlos, Marc le rejette complètement, notamment parce qu’il tousse. Des moments de son rejet sont ainsi vraiment drôles, par exemple lorsqu’à table le pauvre assistant monteur se met à tousser et que Marc se lève, s’avance vers la porte et l’ouvre en disant « Carlos, tu veux peut-être un peu tousser dehors ? » avec l’air ahuri que Pierre Niney maîtrise si bien. Le caractère méchant et égoïste de Marc est ainsi pardonné par la mise en scène de Michel Gondry qui le tourne en dérision, une dynamique que l’on peut franchement questionner. Le film participe en effet à une illustration du mythe du poète maudit, du génie incompris, à qui on pardonne la violence de son comportement. La narration est par ailleurs guidée par la voix-over du protagoniste, qui a donc la mainmise sur un récit qui se déploie en fonction de ce qu’il perçoit, aussi irréel que cela soit parfois.
Le livre des solutions, Michel Gondry, 2022, France, 1h42.