Mézières, Théâtre du Jorat – J’aime l’odeur de la lasagne au petit matin
Le Lasagne della Nonna, de Claire de Ribaupierre et Massimo Furlan

Après le succès des Italiens, Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre reprennent la thématique de l’immigration italienne des années 60 en explorant cette fois-ci le point de vue des femmes. Le Lasagne della Nonna, créées à Vidy en 2024, seront à déguster au Théâtre du Jorat ce samedi 30 août.
Je passais récemment par la rue de Bourg à Lausanne, quand, sentant venir les premiers signes d’une faim qui ne se ferait que grandissante, je me pris à monter au premier étage du numéro 28 dans un restaurant maintenant entré au patrimoine lausannois : Chez Mario. Cette anecdote personnelle n’a pas pour objectif de déguiser un placement de produit tout à fait inadéquat, mais plutôt d’introduire que, me renseignant sur cet endroit, je découvrais qu’il s’agissait là de la toute première pizzeria et, par extension, du tout premier restaurant italien de Suisse. Année de création : 1958. 1958 ? Cela ne ferait donc qu’à peine plus d’un demi-siècle que les helvètes auraient le privilège de manger de la pizza ?
Eh oui, force est de constater que si, aujourd’hui, les Bolomey, Zimmermann et Pidoux côtoient sans que l’on ne s’en étonne plus les Rossi, Sorrentino et Di Marco, la chose était beaucoup plus nouvelle quelques années à peine après la fin d’une deuxième guerre mondiale qui avait inévitablement laissé des marques. La vague d’immigration saisonnière transalpine refroidissait même à l’époque une bonne partie de la population, comme en témoigne l’initiative Schwarzenbach « contre l’emprise étrangère » refusée en 1971 par seulement 54 % des votants. Réputé conservateur, le citoyen suisse faisait alors état à l’excès du parfois caricatural « Y en a point comme nous ».
L’intégration de cette nouvelle population avait déjà été au cœur du travail de Massimo Furlan et de Claire de Ribaupierre lors du spectacle Les Italiens, présenté en 2019. Ce projet de la Compagnie Numero23Prod se concentrait alors sur les hommes qui avaient alors quitté leur Italie natale pour venir travailler dans le pays de Tell. Changement de paradigme pour cette nouvelle mise en scène puisque l’on s’intéresse cette fois-ci au point de vue des femmes qui accompagnaient bien souvent leurs époux dans cette aventure helvétique.
Le spectacle traverse ainsi les histoires respectives de Giuseppina, Lucia, Rita et Anna, toutes quatre immigrées en Suisse dans les années 60, mais aussi celle, plus récente, de Davide, petit-fils de la première nommée, passé lui aussi par un exil forcé devant l’homophobie latente qu’il vivait au quotidien dans sa ville de Delémont, et d’un sixième et dernier personnage, Ali, acteur marocain, témoin d’une migration plus récente et venant de plus loin.
Cette approche de l’intime du récit de vie, Claire de Ribaupierre et Massimo Furlan l’explorent déjà depuis une dizaine d’années. Que ce soit avec les habitants d’un village du Pays Basque avec Hospitalités ou avec deux musiciens dans Radio Jam, le metteur en scène et la dramaturge font systématiquement en sorte de magnifier sur scène le témoignage de l’individu-e afin d’en extraire le message sociétal que ces passages de vie soulignent. Particularité de ces mises en scènes, ce sont les témoins eux-mêmes qui interprètent sur scène leur vécu, avec toute l’authenticité que peut engendrer un tel dispositif. Devant le public de la Grange Sublime, ce 30 août, ce seront donc réellement Giuseppina Carlucci, Lucia De Giovanni, Rita Sperti, Anna Guarino, Davide Brancato et Ali Lamaadli qui, comme dans un documentaire, raconteront leur parcours de vie pendant une heure et demie.
A l’heure où la question migratoire agite presse et opinions populaires (mais a-t-elle vraiment jamais cessé de le faire ?), Le Lasagne della Nonna s’affichent comme une excellente façon de réfléchir, au regard de l’expérience pluridécénnale de l’intégration des Italiens dans la société suisse, à la chance que peut parfois être le mélange des cultures. Et qui sait, devant de nouveaux arrivants, qu’ils soient ukrainiens, afghans ou palestiniens, l’occasion de penser que sans ouverture, peut-être n’aurions-nous jamais eu la joie de déguster une part de pizza.