Médiation
L’arrogance des certitudes

Notre époque est traversée par un paradoxe saisissant. Jamais les enjeux collectifs n’ont été aussi visibles, crise climatique, tensions sociales, inégalités croissantes et jamais les appels à la solidarité n’ont été si nombreux. Pourtant, l’individu s’affirme plus que jamais comme le centre de toute chose, convaincu de ses convictions et retranché dans sa bulle de certitudes.
Laurent Damond, avocat | A l’époque des opinions immédiates, des débats réduits à des joutes de commentaires sur internet et sur les réseaux sociaux, la parole n’ouvre plus, elle enferme. L’opinion est proclamée avant d’être pensée, puis défendue avec d’autant plus de ferveur qu’elle repose sur des fondations fragiles. Le doute a déserté et avec lui, la possibilité d’un vrai dialogue.
Chacun ou presque pense avoir raison. Non plus raison au sens noble, soit celui d’une quête lucide et patiente, mais une pensée brandie comme une vérité définitive, devenue un étendard inattaquable. Dès lors l’autre devient un problème, voire une menace. La confrontation d’idées laisse place à l’opposition de mondes. On ne cherche plus à comprendre l’autre, mais à le corriger et parfois à le condamner.
Dans cette verticalité des positions, le lien se fracture et l’espace commun se rétrécit. Tout le monde parle de société, mais on vit côte à côte, sans se rencontrer vraiment. Même les causes les plus nobles se voient instrumentalisées et utilisées comme moyens de distinction. L’engagement se transforme parfois en identité rigide et la divergence devient une offense.
C’est dans ce climat que la médiation redevient un acte essentiel. Elle ne se résume pas à une méthode ni à une procédure. Elle est d’abord un geste humain, une manière d’habiter les tensions, non pour les dissoudre, mais pour les rendre apaisées. Elle commence là où chacun accepte que sa propre vision du monde n’est peut-être pas la seule.
Le mot « Médiation » évoque le milieu. Elle suppose un ralentissement du temps intérieur, un retour au souffle et une attention à ce qui ne se dit pas encore. Elle appelle un langage moins pressé, moins péremptoire et plus nuancé. Elle nous apprend l’art oublié d’écouter sans interrompre, de parler sans écraser et de répondre sans imposer.
Dans une société avide de réponses, la médiation réhabilite la valeur des questions. Elle rappelle que la différence n’est pas une menace, mais un enrichissement. Que ce que je ne comprends pas, peut devenir matière à réflexion. Et que renoncer à convaincre n’est pas abandonner, mais faire un pas vers l’autre, peut-être le plus difficile.
Il ne s’agit pas de renoncer à soi, mais d’ouvrir une brèche dans l’armure de ses convictions. D’accepter que la vérité soit un pont plutôt qu’un drapeau. Cela demande du courage, non celui de s’imposer, mais celui, plus exigeant encore, de se laisser ébranler. De reconnaître que je ne peux pas tout voir, tout savoir et tout juger. La médiation est cette école silencieuse de la relation. Elle enseigne la modestie du regard, l’écoute comme discipline, la paix comme travail. Ce n’est pas une concession, mais c’est un choix.
La médiation est un art fragile, un artisanat du lien. Elle ne fait pas grand bruit, ne promet pas l’harmonie parfaite. Mais elle redonne à la parole sa lenteur, à la présence son poids et au silence sa fécondité. Peut-être est-ce cela, dans un monde saturé de certitudes, qui mérite encore et plus que jamais d’être entendu.