Lutry – Mise à la porte, la trentaine de résidents accuse le coup
A la mi-janvier, la société qui logeait les aînés dans une résidence non médicalisée leur a annoncé la cessation de ses activités. Ils doivent maintenant trouver de quoi se reloger, alors qu’ils pensaient y finir leur vie. La direction se dit prête à tout pour les aider.

© Elise Dottrens
« Ma mère ne se nourrit plus. C’est horrible, ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont fait. » Pour Grégoire* et sa maman, le coup est dur à encaisser. Ce qu’ils ont fait, c’est annoncer à une trentaine de personnes âgées qu’ils devraient quitter leur résidence protégée dans les trois mois. Cela s’est passé à Lutry, le 14 janvier dernier. Conviés à une assemblée générale extraordinaire, résidents, proches et tuteurs se sont vus annoncer que les activités de la société qui les logeait, la résidence hôtelière médicalisée Résidence Ilot du Parc SA, allait cesser et qu’ils devraient trouver une autre résidence.
Un choc, pour la trentaine de personnes âgées qui occupent les lieux, tout comme pour leurs proches. « Ma mère est paniquée, elle ne fait que pleurer et elle régresse de jour en jour », raconte Nathalie*. « Elle me demandait sans arrêt, mais qu’est-ce qu’on va faire, je vais être à la rue, je vais me retrouver dans un EMS. » Choc, mais aussi tristesse pour ces personnes qui, il y a quelques années déjà, avaient dû se résigner à quitter leur chez eux pour une dernière étape de vie. « En quatre ans, elle s’est fait des relations avec les autres résidents. C’est le côté social, aussi. A cet âge-là, c’était déjà un choc d’aller habiter là-bas, et un deuxième déménagement en 4 ans c’est compliqué. Et puis mon papa y est décédé en 2022. Elle pensait aussi y finir ces jours. »
Au sein du personnel aussi, le coup est dur à accepter. « Ça fait 22 ans que je travaille auprès de personnes âgées », confie la directrice de l’établissement, Julie Heppel. « Je sais à quel point ça peut être difficile et anxiogène pour eux. La direction et les équipes de l’Ilot du Parc mettent tout leur cœur et leur conscience professionnelle pour accompagner dans les meilleures conditions possibles les résidents dans cette période compliquée. »
Sous la pression de l’ECA
Les raisons invoquées sont à priori sans équivoque, et concernent également des problèmes de voisinage avec un des copropriétaires qui a ses bureaux au rez. Des procédures qui durent depuis environ cinq ans. Dans un communiqué, Résidence Ilot du Parc explique que « [L]es indispensables adaptations voulues par les propriétaires et le Conseil d’administration des deux sociétés sont systématiquement bloquées par le copropriétaire minoritaire de la PPE, pour des raisons qui échappent au contrôle et à la compréhension des deux sociétés. Son action récurrente, qui s’exerce sur plusieurs fronts simultanés, engendre des procédures judiciaires longues, sur lesquelles ni Résidence Îlot du Parc SA ni Osadex SA n’ont de prise et qui n’offrent aucune perspective de déblocage à court ou moyen terme. Cette évolution particulièrement problématique empêche désormais les deux sociétés de remplir la mission d’héberger des seniors dans un cadre en adéquation avec leur situation personnelle. »Indispensables parce que non conformes aux directives anti-incendie de l’ECA et de l’AEAI (association d’établissements cantonaux d’assurance incendies), les normes en termes de voies de fuite, de signalétique, d’évacuation des fumées seraient, entre autres, les manquements les plus importants.
« Oui, les raisons qui nous ont été données, c’est que le bâtiment n’est soi-disant plus aux normes. Et que ça fait des années qu’ils veulent faire des travaux mais qu’un des copropriétaires s’oppose à tout travaux de rénovation », admet Nathalie.
Mais la surprise reste grande. D’après leurs témoignages, ni les résidents ni leurs enfants n’avaient été mis au courant ni de la mésentente avec le copropriétaire, ni des manquements dans l’infrastructure : « On ne peut absolument pas dire que l’appartement de ma maman soit insalubre ou vétuste. Au moment où mes parents se sont installés, la directrice m’avait dit qu’il faudrait ajouter une main courante, ou élargir les couloirs pour avoir une certification d’EMS. Mais moi, ça m’a jamais paru très important. »

© Elise Dottrens
Et maintenant ?
Une fois passé la consternation, les proches des résidents sont maintenant activement en train de chercher des solutions. Lors de l’assemblée générale, ainsi que dans leur communiqué, la société Résidence Ilot du Parc SA a promis d’aider leurs résidents à se reloger, et du côté de la direction, on s’active pour trouver les meilleures solutions. « Dans les trois jours qui ont suivi l’annonce, j’ai pris contact avec tous les proches pour établir avec eux un projet, pour savoir quel type de structure était adapté pour eux, s’ils préféraient un appartement protégé, un EMS, quels critères étaient importants pour eux, etc. C’est vraiment du cas par cas, et s’il faut m’appeler dix fois dans la semaine, je répondrai dix fois. » D’ailleurs, selon la direction, un tiers des résidents ont déjà retrouvé un logement. D’autres familles ont refusé l’aide proposée.
De l’aide a également été proposée pour remplir des dossiers de candidatures pour EMS. Mais pour les proches, les conditions de logement qu’offrent les EMS de la région ne correspondent pas à ce qu’offrait l’Ilôt du Parc, qualitativement et géographiquement. « Nous on ne veut pas juste une chambre avec une télé. Alors je cherche de mon côté. »
Ce qui complique surtout les procédures, c’est que les alternatives sont limitées. Dans le canton, il existe une cinquantaine d’établissements du même type, c’est à dire non conventionnés par l’Etat mais pensés pour les personnes âgées avec une mobilité réduite, et douze qui sont médicalisés de la même manière que la résidence de Lutry. Mais les places sont rares. « On nous a parlé de la résidence Nova Vita à Montreux, ou du domaine de la Gracieuse, à Lonay », se rappelle Grégoire. « J’ai appelé les deux. Chez Nova Vita, ils m’ont dit qu’il ne restait qu’un appartement, et à Lonay aussi. »
Consciente des difficultés à trouver de quoi satisfaire tout le monde, la directrice Julie Heppel se veut rassurante : « On a fait une résiliation des contrats de résidence, dans laquelle on a indiqué que les personnes avaient jusqu’au 30 avril. Mais on a dit qu’on ne les mettrait pas dehors et qu’on continuerait à les héberger et à leur donner les prestations dont ils ont besoin jusqu’à ce qu’on trouve une solution. C’est écrit noir sur blanc. »
Pour Nathalie, reste l’angoisse que les services offerts déclinent d’ici à la fermeture. « Je crains que si des résidents partent, ils ne tournent plus financièrement et se mettent en faillite. C’est ça qui me fait peur, que l’endroit se retrouve sans personnel, ou avec du personnel temporaire parce qu’ils sont obligés d’assurer les soins pendant cette période. Et qu’on se retrouve avec des gens qui viennent travailler un jour, deux jours, et à l’âge de nos parents, ils ont besoin d’une certaine stabilité. Ce sont des soins très intimes, ils ne peuvent pas avoir chaque fois une nouvelle personne qui s’occupe d’eux. » Le personnel sera en effet licencié de manière collective. Une fois le délai laissé pour une éventuelle consultation avec leurs syndicats, la date effective de la résiliation du contrat sera posée à la fin mai. Une période plus longue que d’habitude qui permettra à du personnel de rester jusqu’au départ du dernier résident. « On a trouvé une solution pour douze de nos résidents en deux semaines et demie. Et la collaboration avec le BRIO (Bureau régional d’information et d’orientation, qui s’occupe de trouver des places en EMS) est excellente. Tout ne dépend pas de moi, mais je suis confiante pour qu’en mai, tout le monde ait trouvé une solution qui lui convient » conclut la directrice.
*prénoms d’emprunt