L’Espace Arlaud juxtapose les œuvres fort différentes de Marie-Hélène Clément et de Juan Martinez
A l’Espace Arlaud jusqu’au 31 mars


Pierre Jeanneret | Marie-Hélène Clément (1918-2012) était la fille du peintre vaudois Charles Clément. Elle a donc baigné dans un milieu artistique. A l’Ecole des beaux-arts de Lausanne, elle a suivi les cours de Casimir Reymond. Elle s’est mariée, a eu trois enfants. C’est peut-être ce qui explique qu’elle soit restée presque toute sa vie en retrait du monde artistique. Et cela malgré de nombreuses expositions. Par cette rétrospective, qui commémore les cent ans de sa naissance, l’Espace Arlaud la sort d’un relatif oubli, pour le plus grand plaisir du visiteur. Marie-Hélène Clément est toujours restée fidèle à la figuration. Ses thèmes sont assez éclectiques. On y trouve des portraits, et aussi des autoportraits sans complaisance. Le meilleur de sa production est constitué par de belles natures mortes. Elle échappe au conventionnel par une légère distorsion des objets, notamment dans ses représentations de commodes avec fruits. Parfois, elle montre davantage d’audace et donne à ses toiles une touche expressionniste: ainsi dans Broc et chiffons (2010). Si elle montre une prédilection pour les couleurs plutôt sombres, elle ne craint pas l’utilisation de rouges intenses. Voilà donc une oeuvre assez sage, avec pourtant quelques touches novatrices. Puisse cette belle rétrospective, composée de 70 tableaux, attirer le public, notamment celui qui fréquente le marché lausannois tout voisin!
L’engagement d’un résistant contre les horreurs du monde
Avec Juan Martinez, nous sommes dans un registre tout différent. Le peintre andalou, né en 1942, a grandi sous le franquisme. Il en a contracté une indignation contre toutes les oppressions. Depuis les années 1960, où il fait des études d’art à Lausanne, il vit en Suisse. Par sa volonté de dénoncer les injustices et les horreurs du monde, son oeuvre rejoint celle de Goya. Comme l’a écrit la critique d’art Françoise Jaunin, Juan Martinez s’est « engagé pour l’homme et contre toutes les atrocités qu’il inflige à ses semblables. » Pourtant, son discours n’est pas idéologique. Il dénonce le Mal et, par ses toiles, invite implicitement le spectateur à le combattre lui aussi. Dans les grandes surfaces de l’Espace Arlaud, particulièrement appropriées pour une telle exposition, nous sommes en présence de toiles monumentales, des compositions avec de vives oppositions de couleurs. Les visages humains se réduisent à des formes simplifiées, quasi des abstractions. Souvent, ce ne sont que des têtes de mort, qui parsèment des espaces qui peuvent représenter des déserts. Ces visages et ces crânes ne sont plus isolés, mais nombreux dans chaque tableau: Martinez nous rappelle, à l’instar des gravures anarchistes de Vallotton et des toiles de James Ensor, que nous vivons à l’ère des foules. L’artiste a été particulièrement sensible, ces dernières années, à la tragédie de la Lybie, qui donne son nom à plusieurs oeuvres. Il y a quelque chose de répétitif et d’obsessionnel dans le travail de Juan Martinez : c’est aussi ce qui fait la force de cet accrochage qui interpelle le spectateur. Dirons-nous que, dans cette obsession de la mort (on songe, a contrario, au fameux cri de guerre du général franquiste Millán-Astray, Viva la Muerte!) et dans les rouges sanglants du peintre, il y a une sensibilité très espagnole? La violence est toujours sous-jacente dans sa peinture. La symbolique aussi, tels ces barbelés dans Frontière 01. L’artiste s’est entouré de poètes. Par cela, et par son indignation face aux scandales du monde, il rejoint sur le plan pictural le chanteur Leonard Cohen sur le plan musical.Dans l’oeuvre de Juan Martinez, qui nous prend aux tripes, se côtoient l’angoisse, la révolte et l’esprit de résistance. Une exposition exceptionnelle à voir absolument!
«Marie-Hélène Clément» et «Anagnorisis. Juan Martinez» Espace Arlaud, place de la Riponne, Lausanne, jusqu’au 31 mars.


