Les trésors de la Fondation des Treilles
A l’Hermitage, à Lausanne, jusqu’au 29 mai 2022

Pierre Jeanneret | Visiter l’exposition, c’est d’abord faire la connaissance d’une personnalité féminine hors pair. Anne Gruner Schlumberger (1905-1993) est née dans une famille de richissimes entrepreneurs alsaciens. On considère sa fortune comme la plus importante de France. Mais habitée par de profondes valeurs protestantes, cette famille a favorisé le mécénat sous différentes formes, et notamment la promotion et la diffusion de la culture. Anne Gruner Schlumberger, quant à elle, a tissé des liens d’amitié étroits avec plusieurs grands artistes contemporains. Elle les a soutenus, a acheté leurs œuvres, certaines de très grande dimension, installées dans l’immense domaine des Treilles, dans le Haut Var, acquis en 1960. Elle y a installé une Fondation, réunissant des cénacles de scientifiques, de philosophes, de musiciens, de peintres. Au sous-sol de l’Hermitage, on peut voir quelques photos géantes de cette magnifique propriété couverte d’oliviers, avec des sculptures monumentales, qu’il était évidemment impossible de déplacer à Lausanne. Ce que contient l’exposition, c’est un florilège d’œuvres d’art issues de sa Fondation. La prédilection de cette mécène exceptionnelle allait aux novateurs de son temps.
Deux artistes majeurs du 20e siècle sont particulièrement bien représentés. Le premier est Max Ernst (1891-1976), auquel tout le rez-de-chaussée de l’Hermitage est consacré. Ce peintre et sculpteur d’origine allemande fut l’un des fondateurs du mouvement surréaliste. Dans ses toiles, Ernst traduit en images ses rêves, ses cauchemars, ses angoisses. On remarquera le mariage de formes végétales, minérales et mécaniques, dans des paysages sombres et menaçants, fantastiques, proches de l’abstraction. Max Ernst fut toute sa vie un grand expérimentateur. Il inventa par exemple la technique du frottis (que beaucoup d’enfants ont pratiqué à l’école !) Mettons en exergue trois œuvres particulièrement saisissantes : Oiseau-tête en bronze, datant de 1934-1935, et une toile emblématique de l’œuvre d’Ernst, le très coloré Paysage au germe de blé de 1934, et un tableau emblématique de son art, Pour les amis d’Alice (1957), où deux personnages fabuleux, à la fois anthropomorphes et zoomorphes, semblent pris dans les branchages d’une forêt bleue inextricable.
Victor Brauner et les cultures du monde
Deux salles sont consacrées à un autre artiste avec lequel Anne Gruner Schlumberger a tissé des liens étroits, le Tchèque Victor Brauner (1903-1966). Il se passionnait pour toutes les cultures du monde. Ainsi sa toile Là-bas III a été visiblement influencée par les peintures symboliques aztèques ou mayas. D’autres se réfèrent à l’art africain. On remarquera, chez tous ses personnages, l’importance des yeux, liés à des pratiques de voyance. Victor Brauner lui aussi était un expérimentateur, explorant les matières, notamment la cire. Ses œuvres, à la fois simples et complexes, invitent à la méditation et au rêve, ce qui le rapproche des surréalistes.
François-Xavier Lalanne, Joseph Sima et les autres…
Au 2e étage, les visiteurs auront la surprise de retrouver les moutons de Lalanne, dont ils avaient peut-être déjà vu un exemplaire dans le jardin aux sculptures de la Fondation Gianadda ! Quant au sous-sol de l’Hermitage, il offre d’abord une série de grandes toiles du Tchèque Joseph Sima (1891-1971). Ces paysages abstraits nous plongent dans une atmo-sphère très calme et invitent au rêve. Puis on y verra des œuvres graphiques des plus grands maîtres du 20e siècle, qu’il s’agisse de Braque, Picasso, Giacometti, ou encore Fernand Léger, dont on peut admirer Composition mécanique de 1918, proche du Futurisme.
Anne Gruner Schlumberger, qui avait également une propriété en Grèce, s’est aussi intéressée à des jeunes peintres grecs soucieux de revenir à une certaine tradition antiquisante. Dans le même esprit, on admirera une série de céramiques blanches à motifs en relief de Picasso, réalisées à Vallauris. Enfin le sculpteur Panayiotis Vassilakis, dit Taxis (1925-2019), propose ses sculptures, tantôt se référant aux statuettes des Cyclades, tantôt intégrant des éléments mécaniques, rebuts du monde industriel. L’exposition de l’Hermitage offre donc un vaste choix d’œuvres novatrices et inventives du 20e siècle.
« Trésors de la Fondation des Treilles », Fondation de l’Hermitage, Lausanne, jusqu’au 29 mai 2022.





