Les femmes se mobilisent toujours pour faire entendre leurs voix
Douze ans de réflexion pour valider le suffrage féminin
Gil. Colliard | Il y a 50 ans, le 7 février 1971, les Suisses accordaient enfin le droit de vote fédéral aux Suissesses, soit douze ans après l’avoir refusé. Un droit acquis 53 ans auparavant pour les Allemandes, 27 ans plutôt pour les Françaises et 26 ans pour les Italiennes. Le 1er février 1959, alors que les électeurs récusent à hauteur de 66,9% le droit de vote aux femmes, trois cantons, Vaud, Genève et Neuchâtel l’acceptent et l’introduisent dans la foulée au niveau cantonal et communal. Mais quels ont été les résultats des urnes dans notre région ? Grâce à l’aide de Jean-Daniel Graz, greffe d’Oron aujourd’hui retraité, d’Hélène Mottier, archiviste de l’ancienne commune de Villette et de Carmen Feijoo, secrétaire adjointe de Savigny, que nous remercions d’avoir pris du temps pour parcourir les archives, nous avons recensé quelques résultats de ces votations, qui figurent dans le tableau ci-dessous.
VOTATIONS FÉDÉRALES CONCERNANT LE SUFFRAGE FEMININ
Commune | Votation du 1er février 1959 | Votation du 7 février 1971 | |||
Accepté | Refusé | Accepté | Refusé | ||
Bussigny-sur-Oron | 5 | 10 | |||
Les Thioleyres | 8 | 14 | 12 | 3 | |
Les Tavernes | 3 | 24 | 8 | 4 | |
Oron-la-Ville | 85 | 20 | |||
Oron-le-Châtel | 10 | 14 | 21 | 17 | |
Palézieux | 43 | 63 | 65 | 12 | |
Savigny | 36 | 110 | 132 | 39 | |
Villette (Lavaux) | 19 | 56 | 61 | 18 |
Relevons que le préfet d’Oron, Raymond Destraz, invita chaleureusement les citoyennes à prendre une part active à la vie communale, le 22 mai 1959, lors d’une séance d’information sur le suffrage féminin.
Droit de vote et d’éligibilité féminin attendu
Comme il a été diffusé dans différents reportages en relation avec cet anniversaire, des hommes mais aussi des femmes se positionnaient dans le camp du « non », tout comme dans le camp du « oui ». « J’ai regretté ce premier refus au niveau fédéral, ne trouvant pas normal que les femmes n’aient pas autant de droits que les hommes. Elles apportent beaucoup, avec une autre sensibilité, dans les décisions à prendre » confie Jean-François Chevalley, alors membre du Conseil communal de Puidoux. Antoinette Décastel, institutrice retraitée d’Oron, se souvient « le résultat de la votation de 1971 a été fêté en famille. C’était une grande fierté pour ma mère. On discutait beaucoup politique à la maison. Des amies françaises se sont moquées de notre retard ». Souvenir marquant également pour Danielle Richard, municipale d’Oron, « Avant de venir dans le canton de Vaud en 1963, nous avons habité sur Berne et Fribourg. Aussi, ma mère fut très heureuse d’acquérir le droit de vote cantonal et communal, déjà en vigueur pour les Vaudoises, mes parents militant pour l’égalité citoyenne homme/femme ».
Sans attendre, les femmes se sont impliquées dans la vie politique
Tout comme les premières parlementaires qui furent accueillies avec une rose lors de la session d’hiver de 1971 du Parlement fédéral, les Vaudoises de notre région s’engagèrent dès leurs cartes civiques obtenues. Lors de la séance du Conseil d’Ecoteaux, le secrétaire relève : « La séance revêt une certaine solennité du fait de l’assermentation des 11 citoyennes qui se sont présentées pour être admises au législatif communal ». Dans la liste d’entente des élections communales de novembre 1961, à Villette, on voit apparaître 7 noms féminins sur 53 candidats, parmi lesquelles Marguerite Steiner qui fut la première conseillère communale et par la suite la première secrétaire du Conseil communal pendant 6 ans. A Savigny, Jacqueline Gesseney, institutrice, ouvrit la voie féminine, le 22 mai 1964, au Conseil communal. Yolande Nicolier qui fit partie de l’exécutif des Tavernes pendant 8 ans, dès 1984 puis prit la charge de syndic également pendant 8 ans se souvient de sa joie d’obtenir sa carte civique en 1959 pour ses 20 ans, même si celle-ci mentionnait la validité que pour les scrutins cantonaux et communaux et nous livre l’anecdote suivante : au tout début des années 1960, une votation communale avait été organisée à la suite du projet d’un citoyen d’ouvrir un débit de boissons aux Tavernes. Fortes de leur droit de vote nouvellement acquis et soucieuses que leurs viriles moitiés ne perdent leur précieux temps, les dames se mobilisèrent et se firent assermenter afin de prendre part à la votation, à main levée, et firent triompher le non. « La salle n’était pas assez grande pour contenir tout le monde. Je dois ajouter que quelques messieurs avaient également voté contre le projet » précise l’ancienne élue.
Changement de mentalité et preuves faites
Les chiffres issus des archives communales donnent un bon reflet de la situation de la femme dans nos régions à prédominance agricole et viticole, où sa place était à la maison. La campagne contre le suffrage féminin s’est bâtie sur ce constat. « Les femmes ont déjà la parole à la maison, pourquoi la leur faut-il encore dans la politique ? » titrait une affiche placardée par le comité contre le suffrage féminin en 1959, visible, parmi d’autres jusqu’à fin septembre, à l’exposition sur l’histoire du suffrage féminin en Suisse à la Maison de commune de La Tour-de-Peilz. Douze ans plus tard, l’évolution des mentalités ainsi que l’implication active et efficace de la gente féminine dans la vie sociale et politique des communes et du canton a été saluée par ce renversement de tendance. Cependant, en Appenzell Rhodes-Intérieures, il fallut même en appeler au Tribunal fédéral, qui par un arrêt du 27 novembre 1990, décida que les femmes avaient également, sans délai, le droit de vote. Le 28 avril 1991, toutes les Suissesses purent enfin voter au niveau cantonal. Si, aujourd’hui le droit de vote féminin fait partie des acquis, il ne reste pas moins que 50 ans après, le chemin menant à l’égalité est encore long. Le télétravail, dû à la pandémie, a mis en évidence une hausse de cette inégalité ou bien plus de mères ont assumé enfants + travail que de pères. Les femmes se mobilisent toujours pour faire entendre leurs voix. Mais une question demeure : qu’est-ce qui est à l’origine de cette inégalité ?
Exposition jusqu’à fin septembre – Maison de Commune, Grand-Rue 46, La Tour-de-Peilz – Ouvert du lundi au vendredi de 7h30 à 18h – Affiches transmises gracieusement par Gilles Richard, secrétaire adjoint de la ville de La Tour-de-Peilz