Le temps manquant de la malforestation
« Le Temps des forêts » un documentaire de François-Xavier Drouet
Charlyne Genoud | Avec « Le temps des forêts », François-Xavier Drouet se propose de nous immerger dans les problèmes actuels de la gestion des domaines sylvestres français, qu’ils soient d’ordres sociaux, naturels ou économiques. Passant pour ce faire d’un interlocuteur et d’une forêt à l’autre, le long métrage projeté à la semaine de la critique du festival de Locarno en 2018 nous offre un panorama très complet du sujet. Cette année, Ciné-doc le remet au goût du jour lors de six séances de projection en partenariat avec le quinzième festival du film vert qui a lieu en ce moment dans huitante villes suisses et françaises.
Un nouveau terme pour un nouveau problème
Notre randonnée en forêt commence sur les chapeaux de roue avec l’intervention d’un homme révolté dans une forêt du Limousin. Observant des rangées d’arbres identiques, il nous introduit dans la problématique du film : celle des compagnies organisant les forêts pour en tirer un rendement maximal, allant jusqu’à dénaturer complètement les lieux et leur enlever les ressources essentielles à leur survie. Puisque certains arbres se vendent mieux que d’autres, certains propriétaires de forêts ont ainsi décidé d’aligner des douglas comme on aménagerait un champ de maïs. Le développement des forêts suit ainsi le modèle du domaine agricole et de sa surexploitation. L’homme qui nous fait entrer dans le noeud du problème s’insurge contre cette « malforestation », comme il la nomme : « Est-ce qu’on peut appeler ça une forêt ? ». Le silence qui y règne sonne comme une réponse négative à sa question. En effet, tous les animaux qui ont besoin de la forêt pour vivre ont déserté les lieux.
Le bruit des machines
À la place du doux piaillement des oiseaux, le réalisateur met l’accent sur le bruit des machines. L’étalonnage semble ainsi être fait pour que ces énormes Caterpillar nous cassent les oreilles. Les nouveaux engins ne sont, en effet, pas étrangers au problème qui nous occupe : depuis qu’ils se sont immiscés dans l’économie des forêts, c’est tout le rythme de l’exploitation du bois qui en est changé. Ces machines détruisent autant les racines des arbres que celles du métier de bûcheron, puisque la profession n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était par le passé. Désormais, celui qui veut faire ce travail est au service de la machine, et non l’inverse. Pour illustrer ceci, la caméra s’infiltre pour un temps à la place du bûcheron moderne, sur le siège d’une abatteuse. Le cadre se fait dès lors instable, imitant ainsi l’homme ballotté par l’engin qu’il pensait maîtriser. Ces engins sont donc la cause « d’un circuit qui ne suit ni le rythmenaturel, ni le rythme humain ». Tout est ainsi question de temps, qui manque autant aux hommes qu’aux arbres depuis l’arrivée des machines. Applicable à une multitude d’autres thématiques, la thèse du film fait du documentaire un manifeste qui voit bien au-delà des forêts. Il dénonce ainsi plus généralement les problèmes politiques engendrés par une économie allant à mille à l’heure.
Sans issue
Où a donc pu migrer la faune, elle qui faisait des forêts l’espace vivant qu’elles étaient ? C’est une des questions à laquelle semble tenter de répondre le documentaire puisqu’il voyage de l’un de ces espaces dit « naturel » à l’autre tout en en montrant l’aspect désormais artificiel. Après le Limousin, c’est en Bourgogne puis dans les Landes, dans le Morvan et dans les Vosges que nous emmène notre ballade en mauvaises forêts. Dans tous ces espaces, on retrouve la malforestation que dénonce le documentariste, soulignant ainsi que le problème est désormais sans issue. Cette triste constatation est incarnée par les protagonistes principaux du film : les arbres. Ils sont montrés dans tout leur aspect vivant et semblent presque animés. Après qu’un forestier ait marqué de rouge certains arbres bons à être abattus, une prise de vue à la luminosité basse nous laisserait presque croire le temps d’un instant qu’un arbre saigne.
Discussion en présence de Martial Vurlod, Forestier ES, Triage de Lavaux et Yves Kasemy, inspecteur des fôrets du 18e arrondissement.
François-Xavier Drouet : entre journalisme et fiction, le documentaire
C.G. | Le réalisateur confie lors d’une interview pour Radio Graf’hit qu’il s’est essayé au journalisme avant de se tourner vers la réalisation. Ce curriculum vitae paraît étonnant à la vue d’un documentaire contemplatif qui n’use pas d’une « voice over » pour guider son public. Or, tout devient plus clair lorsqu’il explique justement s’être orienté vers la réalisation pour avoir la liberté de ne pas devoir sans cesse stimuler son public pour qu’il suive son propos – comme c’est parfois le cas dans le milieu du reportage télévisuel. Il explique aussi aimer le documentaire dans ce qu’il permet comme écriture, s’approchant de ce fait presque de la fiction. Le réalisateur semble ainsi avoir su tirer profit à la fois de son expérience journalistique mais aussi de ses études de réalisation. En effet, pas dénué d’une trame narrative solide, le film allie très bien la contemplation à une bonne argumentation.