« Benni » – Le regard sensible de Nora Fingsheidt
« Benni » de Nora Fingsheidt
Charlyne Genoud | « Benni », de son titre original « Systemsprenger » est le premier long métrage de la réalisatrice Nora Fingsheidt. Primé lors de la 69e Berlinale, le film allemand suit une petite fille de neuf ans séparée de sa famille à cause de ses problèmes de violence. Sans jamais prendre exclusivement ni le parti de l’enfant ni celui du système, « Benni » parvient à conjuguer les points de vue pour soulever les questions et les cœurs.
Rencontre déstabilisante
Les premières images de « Benni » annoncent l’oscillation des 118 minutes qui vont suivre entre le doux monde de l’enfance, et dans le même cadre la violence du déchirement affectif. On rencontre en effet Benni dans un moment de calme, alors qu’elle discute avec sa médecin durant ce qui apparaît d’abord comme une consultation lambda. Quand sa doctoresse lui demande ce qu’elle aimerait faire plus tard, la jeune fille crie presque, avec un mélange d’insolence et de douceur, « ERZIEHERIIIIIN » (éducatrice). Les images bleutées disparaissent alors, et un fondu au noir nous entraîne vers un climat tout autre. La voix aiguë de Benni sur le i de sa future profession trouve son écho dans un hurlement insoutenable. C’est cette petite fille que nous découvrions dans toute sa vulnérabilité au plan précédent qui hurle désormais. Et quels cris ! Déchirants, ils viennent chercher le public par le cœur pour l’entraîner dans le film. Surprenants, ils posent tout de suite une des questions auquel le film répondra : comment est-ce possible que cette petite tête blonde soit aussi en colère ? Sauvages, ces cris indiquent aussi immédiatement son intégration impossible dans une communauté régie par le calme. Privée de l’amour d’une mère désemparée, cette enfant colérique est une équation insoluble pour les éducateurs du foyer où elle vit.
Immersion intelligente
Toute la virtuosité du film réside cependant dans la nuance : les sauts que nous propose Nora Fingsheidt entre les moments de crise et les moments de répit sont très éprouvants, mais en même temps nécessaires à une bonne compréhension de la situation hyper complexe d’un enfant comme Benni. La sensibilité de la réalisatrice à comprendre, mais aussi et surtout à transmettre se reconnaît d’abord dans cette haute voltige qui consiste à montrer les deux facettes d’un personnage sinon effrayant. Ensuite, l’empathie profonde de la cinéaste pour ses personnages permet de traverser le paysage et la vie de Benni en en ressentant vraiment les enjeux. Nora Fingscheidt nous propose ainsi de ne juger ni Benni l’enfant terrible, ni sa mère inadéquate, ni les éducateurs rêvant d’héroïsme, ni même leurs collègues à bout de nerfs. Cette intelligence narrative découle probablement des recherches approfondies de la réalisatrice et de son immersion dans le monde qu’elle raconte. Elle est en effet allée vivre quelques semaines dans des foyers pour pouvoir parler de ces « systemcrashers » que sont les enfants comme Benni.
Casting réussi
Nora Fingsheidt explique en interview avoir monté le long-métrage sur un ordinateur portable chez sa grand-mère car ce film indépendant a dû être réalisé avec un petit budget. Cependant, la réalisatrice a vraisemblablement su mettre ses priorités au bon endroit. Alors qu’elle dit avoir renoncé à un effet spécial pour la scène finale du film, le budget semble avoir été investi dans un superbe montage parfois expérimental pour témoigner du traumatisme, et un casting remarquable. Les prestations d’acteurs talentueux, qui s’articulent avec l’écriture assidue des personnages portent haut et fort les couleurs du film. On saluera ainsi le jeu remarquable de la jeune Helena Zengel (Benni dans le film), bien que son travail ait déjà été reconnu par les European Film awards 2019 avec une nomination « meilleure actrice ». Après avoir vu la puissance vocale de Benni, il semble dur de s’imaginer que la jeune Helena est en réalité son opposée : une enfant très douce qui fait du poney ! CG
Benni, de Nora Fingsheidt – Allemand, sous-titré en français Allemagne, 2019, 1h58min. A voir au Pathé Galeries (une séance par jour)