Le peuplier de Saint-Saphorin
Il darde un œil sur le clocher de l’église et les toits…

Jean-Pierre Lambelet | Qui ne connait pas le peuplier du village de Saint-Saphorin ? Mais, mon cher, tout le monde connait cette image magique avec ce vénérable peuplier qui darde un œil sur le clocher de l’église et les toits de ce beau village de Saint-Saphorin !
C’est bien… Mais, qui connait l’histoire du peuplier de Saint-Saphorin ?
Et ben… y a plus grand monde pour répondre !
Je me suis approché de son voisin le plus proche, l’ancien syndic de Saint-Saphorin, Jean-Claude Chevalley, qui pourrait presque le toucher depuis son balcon et il m’a conté l’histoire assez étonnante de cet arbre, si célèbre, transmise par le propre fils du principal acteur du récit ci-dessous.
On est en 1845, pendant cette période agitée où la révolution jetait les libéraux et les radicaux vaudois les uns contre les autres, prêts à s’entre-assommer à coups de principes démocratiques. Un beau soir de printemps, François, un fervent libéral dans l’ardeur de ses 20 ans, sortit avec deux camarades de même couleur politique et du même prénom. Ces trois François allèrent prendre un jeune peuplier qui se trouvait en dessous du village de Chardonne, au lieu-dit le « Rio Breguet ».
La même nuit, l’arbre fut replanté à Saint-Saphorin et pourvu d’une décoration de circonstance. Le lendemain, les villageois ouvrirent des yeux ébahis en voyant se dresser bien droit sur la place de l’église ce nouvel ornement végétal qui portait attaché à son tronc et bien en vue un pamphlet ainsi troussé :
Arbre de famine
Planté par la « Vermine »
Tu serviras de poteau
Pour pendre tous les radicaux.
Les radicaux en devinrent plus verts que leurs listes électorales ; ils pestèrent contre les libéraux, cette « vermine de bande noire ». Mais, ils n’avaient pas encore la majorité. Ils n’osèrent donc pas manifester et demander l’enlèvement de l’arbuste impertinent.
Et c’est ainsi qu’en prospérant dans la terre d’un ancien cimetière, celui qui ne devait être au début que l’occasion d’une bonne farce a, pendant tout près d’un siècle, occupé dans son village la place d’honneur. Bizarrerie de la destinée !
Ce texte fut publié en 1944 dans un journal dont la couleur politique était dominante à l’époque !
Et c’est le 18 janvier 1944 que le Conseil communal de Saint-Saphorin accepte l’abattage du vénérable peuplier dont le tronc était creux et il menaçait de tomber sur les maisons voisines. Mais, il fallut « batailler » car maître peuplier avait de fervents supporters qui auraient aimé lui prolonger encore un peu la vie…
Un nouveau peuplier fut planté la même année et il vécut jusqu’en 2002 car était aussi venu le moment de s’occuper de son corps devenu fragile. Maintenant, c’est le peuplier de 2002 qui darde un œil sur le clocher de l’église et les toits de Saint-Saphorin.
Il y avait trois François au début de l’histoire et aujourd’hui on a le troisième peuplier… !
On peut conclure avec un extrait du « Miracle de Saint-Saphorin » de Gilles :
Seigneur ! protégez ce village !
Ayez l’œil sur son peuplier,
Ses bonnes caves, ses celliers,
Ses vignerons durs à l’ouvrage.