Le dialogue à l’américaine
Laurent Vinatier | |Triste nouvelle fin mai: le chef des talibans afghans, le peu connu mais influent mollah Akhtar Mansur a péri dans un raid aérien américain, tué par un drone, alors qu’il circulait en voiture sur une route du Pakistan. Certes, la victime n’était pas exactement un philanthrope et pratiquait le terrorisme aveugle contre des civils… Barak Obama, dit-on, aurait lui-même autorisé la frappe. Il n’y a rien à faire: c’est une bien mauvaise manière de passer un samedi. On aurait tort en effet de célébrer, trop vite et naïvement, cette disparition. Il faut s’attendre à des représailles, ce qui n’est qu’un minimum. Le pire sans doute, non pas pour les Occidentaux mais plutôt pour le peuple afghan lui-même, c’est que celui-ci n’est pas prêt de voir son pays, déjà en souffrance, connaître une stabilisation durable. En vérité, c’est une triste nouvelle pour la paix.
Les autorités afghanes elles-mêmes ne s’y trompent pas. Le visage fermé et sombre du chef du gouvernement, quand il annonce la nouvelle, en dit long sur le sens implicite de l’acte. Les Américains viennent de fermer définitivement la porte à toute possibilité de dialogue avec les talibans. Ces derniers, il est vrai, ne faisaient que refuser les ouvertures. Dès cette semaine cependant ils n’auront même plus le loisir d’y réfléchir; à l’inverse de leur ancien allié, un chef historique d’un parti radical qui vient de confirmer sa participation à un processus de négociations avec Kaboul.
L’approche diplomatique américaine est pour le moins originale: «éliminons ceux qui ne veulent pas discuter et récompensons les autres». A court terme cela peut payer, compte tenu de la restructuration nécessaire des groupes décapités. A moyen ou long terme, il est peu probable que la confiance revienne et que ceux qui ont déjà dit non changent d’avis.
L’emploi de drones n’aide pas non plus en la matière. La précision des machines n’est pas tant en jeu que le fait même que ce soit des machines. Des personnes, combattantes ou civiles, sont blessées, estropiées ou tuées par des robots, ce qui n’est pas sans poser, on le sait, un problème éthique. La réponse souvent entendue est que la logique d’usage du drone est identique à celle du javelot, la technologie en plus: il s’agit dans les deux cas de combattre l’ennemi à une distance de sécurité suffisante. La différence majeure néanmoins est que l’ennemi avait aussi des javelots ou pouvait en avoir rapidement. Pour les survivants talibans actuels – mais aussi pour leurs semblables à l’Etat islamique ou al-Qaïda – la réalité est quelque peu différente: la guerre ne peut être menée à armes égales. Face à cette injustice, l’action terroriste visant des civils à Kaboul ou Paris n’est plus inconcevable et se voit même tout à fait justifiée. On pourrait discuter longtemps sur la question de savoir qui a tiré le premier – les terroristes ou les Américains ? En vain; il est trop tard: l’heure est à l’escalade.