Le chant de l’etrave
Christiane Bonder | Épisode 11
Destination Dakar (suite)
– Un cadeau pour moi ?… Cigarettes américaines… Whisky ?… Un petit effort, sinon, pour le pavillon de courtoisie…
Ce douanier nous emm… Comment pourrait-il comprendre qu’en arrivant sur un voilier notre bourse soit à sec ?
Fort heureusement, je pense aux casquettes rouges qu’un ami nous avait données. Il travaillait à l’époque pour la publicité des cigarettes «Parisiennes super». Le douanier est satisfait…
Pendant ces échanges, le capitaine du cargo italien arrive, chargé d’un gros carton.
– Tenez ! Mangez bien ce soir, le poisson est tout frais !
Le carton contient encore des pâtes, du pain, cinq petites bières, de la sauce tomate. Le capitaine nous conseille aussi de quitter le port pour la nuit, car le vol est monnaie courante.
– Ils vous coupent même les amarres, tout se revend sur le marché. Repassez, je vous donnerai des vivres, du mazout… Un peu plus au sud, vous trouverez la baie de Hann.
La nuit est déjà bien avancée lorsque nous entrons dans cette baie. La distance qui nous sépare de la plage étant difficile à évaluer, nous jetons l’ancre sur un fond de six mètres. L’endroit est calme, la nuit sans lune, d’étranges parfums et des sons de tam-tam nous parviennent à travers une brise légère. Erik sort le gril en fonte, le petit bois que nous avons toujours en réserve. Sur la cabine arrière, de belles braises nous permettent bientôt de griller le poisson et de chauffer l’eau pour les spaghettis. Le festin que nous nous offrons le soir du 25 septembre, assis sur le pont, éclairés d’une lampe à pétrole, vaut bien tous les restaurants du monde…
La baie de Hann
Le matin suivant, nous apercevons distinctement des mâts tout au fond de la baie. Ils sont là, Bab a reconnu les «pompons» parsemés dans le haubanage de l’Endurance. Rendus à bord, les retrouvailles ne manquent pas de piment. Nous apprenons que la saison des tornades se termine et qu’il fera moins chaud… Que l’on peut s’approvisionner en eau, là-bas, au ponton, et que pour jouir des quelques commodités telles que le mouillage dans la baie, l’eau potable et les douches, les services du passeur, il faut s’inscrire à l’Amicale des Plaisanciers qui demande l’équivalent de soixante francs suisses par mois. Tout en recouvrant nos tartines de miel sauvage de Casamance, nos échanges nous amènent à parler de nos nuits de veille en mer, lorsque la fatigue atteint son paroxysme. Bruno et Jean-Luc racontent qu’à quelques heures d’intervalle, ils ont eu la même hallucination: un cycliste sur un engin orange pédalait énergiquement aux côtés de l’Endurance… Nous n’osons douter, ni rire de leur récit puisqu’une semblable expérience nous est arrivée. Au large des côtes marocaines, dans un ciel de kaléidoscope tourmenté, alors qu’à sec de toile les vagues grimpaient sur la cabine arrière, j’ai vu, gigantesque et menaçant, un cargo verdâtre dont tous les hublots étaient allumés. Le temps, affolée, de mettre les feux en tête de mâts… plus de cargo. Le lendemain, Erik me dit avoir eu exactement la même vision lors de son quart…
En fin de journée, David, le fils de Jean-Luc, et Olivier peinent à se séparer, totalement enjoués par un xylophone. Nous jetons l’ancre à une cinquantaine de mètres de l’Endurance sans imaginer que la baie de Hann abritera désormais Christer pendant deux ans…
Nous savons maintenant que toutes les entreprises se situent sur l’interminable route de Rufisque qui mène de Hann à Dakar. Sans tarder, armés de courage, nous frappons à chaque porte dans l’espoir de dénicher un travail. Nous rentrons crevés et bredouilles, encore et encore, des cloques et les pieds abîmés par le sable et la chaleur. Dans le petit village de Hann, nous troquons des rouleaux de sacs en plastique en échange d’huile alimentaire, ainsi que des savons de Marseille, des habits d’Olivier devenus trop petits, contre du lait en boîtes, du poisson frais que ramènent les pirogues. Nous gardons notre dernier pécule pour le pain quotidien et aucun luxe n’est admis. Quand Erik revient un soir de Dakar avec des yeux pétillants, je comprends que ses efforts ont été récompensés. A l’occasion de son centenaire, l’Ecole catholique de Dakar lui a confié un projet graphique…