La petite histoire des mots de Georges Pop
Polémique
Dès le 1er octobre prochain, le dépistage des personnes asymptomatiques ne sera plus gratuit. Les cinq autotests par mois seront payants pour les personnes non vaccinées ou non guéries, à quelques exceptions près. Cette décision du Conseil fédéral a provoqué l’ire de nombre de celles et ceux qui ont choisi de ne pas se faire vacciner. La polémique est vive, sur les réseaux sociaux, notamment, entre partisans et détracteurs de cette mesure dont les points de vue sont irréconciliables. La mêlée verbale s’achève souvent par un échange d’invectives.
Voilà qui nous amène au substantif « polémique » qui désigne une controverse ou un débat qui traduisent de façon passionnée, voire violente, des opinions ou des croyances contraires, sur toute une série de sujets, qu’ils soient de nature politique, philosophique, scientifique ou existentielle.
L’adjectif « polémique » se rapporte, pour sa part, à tout échange qui prend des allures de dispute ou de querelle. Ce terme porte en lui des relents belliqueux. Et pour cause ! Présent dès le XVIe siècle dans de nombreux textes de la littérature française, pour désigner des pamphlets ou des chansons qui avaient un caractère agressif ou violent, « polémique » est issu du grec « polêmikôs » qui signifie « disposé à la guerre », « batailleur » ou « querelleur ». Ce mot est lui-même un dérivé de « pólemos » qui veut tout simplement dire « guerre », aussi bien en grec ancien que moderne.
Dans la mythologie grecque, Pólemos était aussi la personnification divine de la guerre. Aucun culte n’était voué à ce personnage ambigu et son nom ne figure dans aucun mythe majeur. On le retrouve essentiellement dans l’allégorie et les discours philosophiques de l’Antiquité gréco-latine. Selon le poète Pindare, Pólemos était le père d’Alala, la déesse du cri de guerre que les hoplites antiques poussaient en chœur avant la bataille. Le pendant romain de cette figure était Bellum, divinité qui, elle aussi, personnifiait le guerre. En latin, le mot « bellum » signifie d’ailleurs « guerre ». C’est de ce terme que sont issus les mots « belliqueux » et « belliciste ». Chez les anciens Hellènes, les Athéniens et les Spartiates, notamment, un polémarque (polémarkhos) était un chef de guerre à qui sa cité confiait la polémarchie (polémarkhia), autrement dit, la conduite de la guerre. En français, le verbe « polémiser » est un synonyme de « polémiquer ». Tous deux veulent dire « faire de la polémique ». Le verbe « polémiciser », quant à lui, signifie « donner un caractère polémique » à quelque chose, par exemple à un entretien. Mais il est d’un usage rarissime.
Pour en revenir aux échanges, parfois musclés, qui opposent partisans et adversaires des vaccins anti-covid, songeons à cette réflexion, du grand Albert Camus, auteur, notamment, de L’Etranger et de La Peste (dont le premier vaccin, soit dit en passant, a été mis en point en 1897) : « Le dialogue, relation des personnes, a été remplacé par la propagande ou la polémique, qui sont deux sortes de monologue ». Formé des mots grecs « monos », qui signifie « seul », et « logos » qui veut dire « parole », un « monologue » est « un discours qu’une personne seule se tient à elle-même » ; des paroles écrites bien avant l’irruption des réseaux sociaux, mais qui , de nos jours , gardent toute leur justesse.
Georges Pop


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