La petite histoire des mots
Liberté
Georges Pop | Le déconfinement progressif autorisé par le gouvernement fait souffler un petit air de liberté dans les chaumières, après un isolement nécessaire mais, à la longue, difficilement supportable. Certains – très minoritaires il est vrai – ont même manifesté leur colère dans la rue, ces dernières semaines, arguant du fait que les mesures prises par le Conseil fédéral empiétaient, selon eux, sur leurs libertés et violaient les droits que leur garantissait la Constitution. Voilà qui nous amène au mot « liberté » qui, selon le dictionnaire, définit la situation d’un ou plusieurs individus qui ne sont soumis ou ne dépendent de personne, et qui ont ainsi le loisir d’agir en toute autonomie. Autant dire que, de nos jours, la liberté absolue n’existe guère, compte-tenu des contraintes sociales, professionnelles, familiales et autres, auxquelles chacun de nous est assujetti, dans son quotidien. Le mot « liberté » nous vient du latin « libertas » qui caractérisait l’état d’un homme libre, par opposition à celui qui était réduit à l’état d’esclave. « Libertas » est lui-même issu de « liber » qui désignait un homme qui n’était soumis à aucun maître; un homme « libre », au sens du droit romain. Notons au passage que le terme « libertés » définissait au Moyen-Âge les immunités et franchises accordées par un souverain à une cité. De nos jours, au moins dans les pays respectueux des droits humains, la liberté prend différentes formes: la liberté naturelle est un ensemble de droits théoriques dont chaque individu dispose du fait de sa seule appartenance à l’Humanité (éducation, travail, santé, etc.) ; la liberté civile s’exprime dans le cadre bien compris des lois, pour autant, évidemment, qu’elles soient adoptées démocratiquement; la liberté politique garantit, par exemple, le droit d’adhérer à un parti et d’exprimer librement ses opinions, dans le respect des autres ; la liberté individuelle laisse chacun agir à sa guise, sans encourir de mesures arbitraires. La liste est bien sûr incomplète, mais déjà bien trop longue pour nombre de gouvernants qui, de Manille à Ankara ou de Pékin à Brasilia, brident les libertés, ou tentent de le faire. De tous les poèmes consacrés à la liberté, celui que l’auteur français Paul Eluard écrivit en 1942, sous la botte nazie, reste l’un des plus touchants. Il s’agit d’une longue énumération d’objets et de lieux sur lesquels le narrateur écrit un nom qu’il ne révèle qu’en conclusion: « Sur mes cahiers d’écolier… Sur mon pupitre et les arbres… Sur le sable sur la neige… J’écris ton nom… Sur toutes les pages lues … Sur toutes les pages blanches… Pierre sang papier ou cendre … J’écris ton nom », etc. Le poème s’achève par ces mots : « Et par le pouvoir d’un mot… Je recommence ma vie… Je suis né pour te connaître… Pour te nommer… LIBERTÉ ! » Le poème est publié le 3 avril 1942, sans visa de censure, dans un recueil clandestin, au nez et à la barbe de l’occupant allemand. Sorti secrètement de France, le texte est publié en Suisse en janvier 1943, aux Editions de la Baconnière, à Neuchâtel. Donnons aujourd’hui le mot de la fin au grand Victor Hugo qui a eu ce mot définitif : « La liberté commence là où l’ignorance finit ». Incontestable!