La petite histoire des mots
Langue

La présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter ne pourra sans doute plus désormais utiliser la langue anglaise, qu’elle maitrise parfaitement, pour parler à certains de ses homologues étrangers. Par 93 voix contre 81 et 15 abstentions, le Conseil national, dans un élan identitaire, a adopté la semaine dernière une motion exigeant l’utilisation par nos gouvernants et officiels d’une des langues nationales suisses pour communiquer avec les représentants des organisations internationales où l’une de nos langues est utilisée. Sans commentaire !
Voilà qui nous amène au mot « langue » qui, en français, désigne à la fois l’organe située dans la cavité buccale dont le rôle est essentiel dans la déglutition, le goût et la parole, et le langage commun à un groupe social, ou à une communauté. Rien d’étonnant à cela, sachant que le mot « langue » nous vient en droite ligne du latin « lingua » qui signifiait déjà, à la fois, « organe de la parole » et « langage », terme lui aussi dérivé de « lingua ».
Le français n’est pas une exception. Les mots « langue » et « langage » se confondent aussi en italien ou en portugais, avec le mot « lingua » dont seule la prononciation diffère dans chacune de ces deux langues. L’espagnol en revanche fait la distinction entre l’organe et le langage. Dans la langue de Cervantes, on dira « sacar la lengua » pour « tirer la langue » et « hablar un idioma » pour « parler une langue ». « Idioma », en espagnol, comme « idiome » en français, viennent du grec ancien « idioma » qui signifie « particularité de style ». Repris par le latin, ce terme a évolué pour désigner un langage propre à une région ou une communauté.
Le grec, dont sont issus de nombreux mots latins et français, confond lui aussi la langue et l’organe. Dans la langue d’Homère, « glossa », écrit parfois « glotta », désigne les deux. Ce terme nous a donné les mots « glossaire », pour un lexique expliquant les mots difficiles ou mal connus, « glotte » pour nommer la partie du larynx située entre les cordes vocales, et surtout « polyglotte » pour parler d’un individu qui maitrise plusieurs langues, « poly » voulant dire « beaucoup », en grec.
En anglais, le mot « tongue », issu des langues germaniques, désigne l’organe, alors que « language » définit la langue parlée. Ce second terme est un héritage du vieux français, introduit massivement chez les anglo-saxons après la conquête de l’île par le Normand Guillaume le Conquérant, devenu roi d’Angleterre en 1066. L’allemand, qui a échappé aux influences gréco-latines, désigne l’organe par le substantif « Zunge », apparenté à « tongue » (les deux ont une origine commune), et le langage par « Sprache », issu du vieil allemand « sprāhha » qui définissait la parole.
On terminera par ce célèbre proverbe qui appelle à la fois l’organe et la parole, selon lequel « il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler », suggérant de prendre le temps de réfléchir avant d’ouvrir la bouche. L’origine de cette expression remonte à l’Ancien Testament, où elle est attribuée au roi Salomon. Le chiffre sept était alors souvent utilisé pour symboliser la perfection divine. L’expression, dans son sens actuel, est recensée dans le dictionnaire de l’Académie française de 1835.