La petite histoire des mots
Fromage

Le 1er juin dernier, le Jurassien bernois Olivier Isler a succédé au Vaudois Philippe Bardet à la tête de l’Interprofession du Gruyère (IPG), créée en 1997, et qui regroupe les producteurs, les fromagers et les affineurs de ce fromage, notamment dans notre région (voir article en page 14). Le Gruyère AOP, fleuron de notre patrimoine alimentaire, est le fromage suisse le plus célèbre et le mieux vendu, aussi bien en Suisse qu’à l’exportation.
Voilà qui nous amène aux origines du mot « fromage » qui – personne n’en sera surpris – nous vient du latin. Les Romains désignaient le fromage par le mot « caseus » qui nous a donné « caséine », le nom de la principale protéine du lait. Cependant, ils appelaient « caseus formaticus » le fromage fait dans un moule », le verbe « formare » signifiant « former » ou « mouler ». Curieusement, dans la langue française, seul le second mot est resté, mettant l’accent sur la forme déterminée par le moule.
L’évolution de « formaticus » a d’abord donné « formage », puis, vers la fin du Moyen-Âge, « fromage » par « métathèse ». En linguistique, ce terme définit l’altération d’un mot ou d’un groupe de mots par déplacement ou interversion de lettres ou de sons. Il est cocasse de constater que l’italien a suivi le même parcours que le français, mais sans « métathèse ». Dans la langue de Dante, le fromage se dit « formaggio ». C’est donc bien le fait de « mettre en forme », c’est-à-dire de mouler le lait caillé, qui a donné son nom au fromage, aussi bien en français qu’en italien.
Le « caseus » de l’expression latine « caseus formaticus » n’a pas été perdu pour autant. Outre le mot français « caséine », que nous avons évoqué plus haut, il s’est maintenu, en changeant de forme, dans plusieurs langues latines ou non. On le retrouve ainsi dans le « queso » espagnol, le « queijo » portugais, le « cheese » anglais ou encore le « käse » allemand ; autant de mots qui, dans leur langue respective, veulent bien dire « fromage ».
Les Suisses sont parfois surpris d’entendre nos voisins français évoquer « les trous » du Gruyère. Si le Gruyère, produit depuis le Moyen-Âge, est bien d’origine suisse, un fromage portant ce nom est également produit en France. Le « nôtre », le « vrai » (évidement !), jouit d’une AOP (Appellation d’origine protégée), alors que celui de nos voisins bénéficie d’une simple IGP (Indication géographique protégée). Le Gruyère suisse n’a pas de trous. Il est plus corsé que son homonyme tricolore, avec des saveurs plus marquées, après 5 mois d’affinage au minimum. Le Gruyère français est quant à lui plus doux, en raison, notamment, de… ses petits trous, appelés « yeux » !
Comme l’écrivit si bien Jean de La Fontaine, « cette leçon vaut bien un fromage ».