La petite histoire des mots
Vol

Dans un communiqué publié la semaine dernière, l’Office fédéral de la statistique, révèle que près de 26’000 cas de vol à l’étalage ont été enregistrés en Suisse, en 2024, soit 7 % de plus qu’une année plus tôt. Mais ces infractions seraient en réalité bien plus nombreuses. Pour se prémunir de ces vols, Swiss Retail Federation, l’association suisse des commerces de détail, recommande à ses membres une tolérance zéro et estime que le vol à l’étalage ne doit pas être considéré comme un délit mineur, ni par les détaillants, ni par la police.
Le vol à l’étalage désigne le vol de marchandises dans un établissement de vente au détail pendant les heures d’ouverture. Voilà qui nous amène au mot « vol » qui est issu du latin « volare » qui signifie… « voler dans l’air ». Le fait est qu’à l’origine, le verbe « voler » n’avait qu’un seul sens : « se maintenir dans l’air en battant des ailes », ou, depuis l’invention des ballons puis des avions, « se mouvoir dans l’air ».
Mais comment et quand le mot « vol » et le verbe « voler » ont-ils bien pu prendre le sens d’ « action de soustraire frauduleusement un bien ou une chose à un tiers », et le substantif « voleur » celui d’ « individu qui accapare frauduleusement ou par la violence le bien ou l’argent d’autrui » ?
Jusqu’à la fin du seizième siècle, on ne disait pas « voler » pour l’action de dérober, mais « embler ». Ce verbe est issu du latin « involare » qui signifiait « enlever en volant », une expression tirée de l’action de l’oiseau de proie qui enlève son gibier. Ce verbe s’était transformé en « imbulare » en bas-latin, avant de devenir « emblar » en provençal puis « embler » en français. Mais « voler », dans le langage technique de la fauconnerie, désignait aussi, en ce temps, l’action pour un rapace de s’emparer d’une proie.
Comme l’écrivit en 1880, le lexicographe, philosophe et homme politique français, Emile Littré, « Une fois que, grâce à quelque connexion assez saugrenue, l’usage eut rattaché l’action du faucon dressé qui vole une perdrix et l’action du coquin qui s’empare de ce qui ne lui appartient pas, voler, c’est-à-dire dérober, étant protégé par voler, c’est-à-dire se mouvoir en l’air, n’eut plus aucun effort à faire pour occuper le terrain d’embler ». Voilà ! C’est ainsi que « voler » a pris la place d’ « embler » qui a fini par complétement disparaître de notre vocabulaire.
Quant à Emile Littré, il dénonça ce remplacement qu’il regrettait, lui qui aimait le verbe « embler ». Il conclut son article en ces termes : « Voler avec son sens nouveau est un gros péché contre la clarté et l’élégance. C’est le seizième siècle qui est coupable de ce fâcheux néologisme ».
Effectivement ! Au XVIIe siècle, déjà, on ne disait plus « embler » pour « voler ». C’est de ce siècle que date d’ailleurs le proverbe « qui vole un œuf vole un bœuf ». Il signifie qu’une personne qui commet un petit délit est capable d’en commettre un plus grave. Avis manifestement partagé aujourd’hui par les détaillants victimes de vols à l’étalage.