La petite histoire des mots
Crise
Le Conseil fédéral a confirmé, la semaine dernière, les démissions du chef de l’armée, l’Argovien Thomas Süssli, ainsi que celle du patron du Service de renseignement, le Valaisan Christian Dussey. Ces départs intervenant après celui, annoncé, de Viola Amherd, la cheffe du DDPS, et les soupçons de fraude chez Ruag, il est désormais ouvertement question de « crise » au sein de l’armée suisse.
Voilà qui nous donne l’occasion de nous pencher sur le mot « crise » qui est infiniment plus complexe qu’il n’y paraît à première vue, car il s’applique à des phénomènes, généralement anxiogènes, d’une grande diversité.
Le substantif « crise » peut en effet désigner une période de tensions conflictuelles ou une situation de déséquilibre grave, comme dans le cas d’une crise politique, économique, sociale ou sanitaire. En médecine, il définit la manifestation brutale d’une maladie ou l’aggravation subite d’un état chronique. C’est le cas, par exemple, d’une crise cardiaque, d’appendicite ou d’asthme. Dans le domaine des émotions, on peut songer à une crise de larmes, de fou rire ou de colère. En psychologie, on parle de crise de l’adolescence ou de la cinquantaine. Ce terme peut aussi mentionner des pénuries, comme dans le cas d’une crise alimentaire, etc.
Le mot « crise » nous vient du grec « krisis » qui avait déjà de nombreux sens. Les principaux étaient, et sont encore, en grec moderne : « action de distinguer » ; « action de choisir » ; « action de séparer » ; « action de décider », tous dérivés du verbe « krinein » qui veut dire « juger », « considérer » ou encore « décider ». Dans la médecine hippocratique, le mot « crise » désignait le moment où la maladie touchait à son terme. La « crise » n’était donc pas un signe de maladie, mais plutôt de résistance à la maladie. Dans la tragédie grecque, « crise » était le moment de vérité où le passé était révélé.
Le latin emprunta ce mot au grec, mais uniquement dans un sens médical négatif. « Crisis », en latin, désignait en effet l’aggravation d’une maladie. C’est au XIVe siècle que le mot arriva dans la langue française, d’abord sous la forme « crisim », toujours dans son acception exclusivement médicale. Et c’est à partir du XVIIe siècle que son sens s’étendit hors de la médecine pour évoquer non plus, comme à l’origine, le moment décisif d’un processus incertain, mais une phase critique.
Selon certains sociologues les moments de crise offrent des opportunités pour des changements bénéfiques. On songe évidemment à la crise climatique qui, théoriquement, devrait nous contraindre à mieux gérer nos ressources et à protéger notre environnement. Mais ce n’est jamais gagné d’avance, car les « crises » génèrent toujours des « criseux » colériques qui ne font qu’aggraver les choses.
Terminons par cette belle citation d’Honoré de Balzac : « Dans les grandes crises, le cœur se brise ou se bronze ». Inutile de préciser que le verbe « bronzer », dénominal de « bronze » (alliage de cuivre et d’étain) qui a deux sens, veut bien ici dire « devenir dur comme du bronze » et non « prendre la couleur du bronze » en s’exposant nonchalamment aux rayons du soleil…