La petite histoire des mots
Miséricorde

La semaine dernière, lors d’un service religieux à la cathédrale nationale de Washington, à laquelle assistait Donald Trump, l’évêque épiscopalienne Mariann Budde a exhorté le président américain à faire preuve de « miséricorde » pour celles et ceux qui sont « effrayés » par son arrivée au pouvoir, notamment les migrants en situation irrégulière, ou les jeunes de la communauté LGBT. L’hôte de la Maison Blanche n’a manifestement pas apprécié. Il a qualifié l’évêque de « méchante » et de « radicale de gauche », lui réclamant des excuses.
Le terme « miséricorde » a d’abord un sens religieux. Il fit son apparition dans ce qui allait devenir notre langue au XIIe siècle, en anglo-normand, l’une des variantes de l’ancien français, dans le Psautier d’Oxford, un recueil médiéval de psaumes. Il désignait alors la « bonté par laquelle Dieu pardonne aux hommes », mais aussi la « vertu qui porte les hommes à soulager les misères d’autrui ».
Ce terme fut directement adopté du latin « misericordia » qui associe les mots « miseria », qui veut dire « misère », et « cor », qui veut dire cœur, pour désigner un cœur ouvert à la misère. Il faut savoir que chez les anciens, le cœur était le siège de la vie, des passions, des sentiments, mais aussi celui de l’intelligence, de la mémoire et de la volonté. Dans l’Antiquité, les médecins grecs appelaient « kardia » non seulement le cœur, mais aussi l’entrée de l’estomac, ce qui explique l’expression « mal au cœur », utilisée souvent pour exprimer un sentiment de nausée.
« Miséricorde » est donc bien d’abord un terme théologique qui reconnaît un cœur sensible à la détresse, pareil, selon la tradition chrétienne, à l’amour du Père qui a envoyé son Fils parmi les vivants, afin de les ramener à lui. Pour le pape François, par exemple, « la miséricorde est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre » et « Jésus-Christ est bien le visage de la miséricorde du Père ».
Il est intéressant de noter que vers la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle « miséricorde » désignait aussi le repas que l’ordre monastique des Chartreux faisait, une fois la semaine, au pain et à l’huile, ainsi que la récréation que l’on accordait jadis aux moines. Petite digression pour répondre à la possible curiosité de certains lecteurs : le chartreux est aussi une race de chats ramenés d’Orient aux temps des Croisades. Elle devrait son nom au fait que ces félins vivaient dans les monastères où les moines Chartreux les élevaient pour chasser les rats, en un temps où la peste faisait des ravages en Europe.
De nos jours, « miséricorde » est devenu synonyme de « pitié » et de « compassion ». Mais la philosophe allemande Käte Hamburger voyait dans la miséricorde une forme de « charité active », la distinguant de la charité, et plus encore de la pitié, jugée dégradante, qui relève, selon elle, du domaine passif des émotions.
Il fut un temps, pas si lointain, où « miséricorde » se disait quelquefois par exclamation, pour marquer une extrême surprise. Aujourd’hui, signe peut-être des temps, on lui préfère les interjections profanes « b.rdel ! », « p.tain ! » ou , plus proche du ciel, … « dedjieu ! »