La petite histoire des mots
Débâcle

Défaite, déroute ou débâcle ! Ces trois substantifs signalent un revers, militaire, politique ou sportif, par exemple. Ils se distinguent cependant par l’intensité de l’échec qu’ils désignent.
L’équipe suisse de football a certes essuyé une défaite, face à l’Angleterre, mais elle fut honorable, voire imméritée. En France, le parti présidentiel a manifestement échappé à la déroute promise par les sondages, à l’issue des élections législatives de dimanche, mais a perdu passablement de plumes. En revanche, quelques jours plus tôt, lors d’un scrutin qualifié d’historique, les conservateurs britanniques ont subi une véritable débâcle en perdant les deux tiers de leurs élus. Du jamais vu !
D’un point de vue étymologique, le mot « débâcle » est sans doute le plus intéressant des trois. Il est un dérivé du verbe « bâcler », avéré dans la langue française sous la forme « bascler » dès le XIIIe siècle, dans la sens de « fermer ». Il est très vraisemblablement issu du latin « bacculare » qui signifie « fermer avec une barre en bois », résultant du mot « baculum » qui veut dire « bâton ». On disait alors « bâcler » une porte ou une fenêtre. En langage maritime, « bâcler » un bateau signifiait le mettre à l’abri dans un lieu clos, à l’abri des intempéries, alors que « bâcler un port » voulait dire en interdire l’accès, en temps de guerre notamment.
Presque simultanément à « bâcler », apparût son contraire : « débâcler » prit le sens de désamarrer des bateaux afin de les retirer d’un port pour l’ouvrir à ceux qui arrivent. Le substantif « débâcle » désignait alors exclusivement l’action de faire quitter des bateaux de l’endroit où ils étaient arrimés. Vers la fin du XVIIIe siècle, « débâcle » fut aussi utilisé pour parler de la glace qui se désagrège soudainement, lors d’un redoux, libérant les voies navigables. Il prit peu après le sens de « débandade désordonnée ». Les historiens parlent par exemple aujourd’hui de la « débâcle » de l’armée française, lors de l’invasion des armées nazies en 1940.
Vers la fin du XVIIIe siècle, le verbe « bâcler » prit, quant à lui, le sens de « fait », « réglé » et « arrêté ». Une affaire « bâclée » était une affaire conclue. Ce n’est que plus tard que ce verbe se chargea de la signification péjorative que nous lui connaissons aujourd’hui, à savoir réaliser un travail à la hâte et sans soin. Le mot « bâcleur », apparut dans la littérature vers 1830, pour désigner un individu qui accomplit une tâche mal et vite.
Notons enfin que notre langue n’a pas oublié que tous ces termes sont issus de « baculum » qui veut dire « bâton ». En français, une « bâcle » désigne toujours une poutre ou une barre de bois ou de fer qui servent à fermer, autrement dit à « bâcler », une porte ou un portail. Une corvée qu’il convient de ne pas « bâcler » pour éviter les intrusions ou empêcher le chien de garde de quitter la propriété pour aller errer sur la voie publique.