La petite histoire des mots
Doigt d’honneur

Le geste de la Jeune socialiste valaisanne Mathilde Mottet qui, le 1er août dernier, a fait circuler sur les réseaux publics une photo la montrant faire un doigt d’honneur devant un drapeau suisse, a soulevé une vague d’indignation. Et pour cause ! Ce geste a été jugé injurieux et obscène. La jeune femme a tenté de justifier cette inélégante provocation en prétextant que « le drapeau suisse, est aussi le symbole d’un pays qui préfère investir dans des tanks et des mitrailleuses, plutôt que dans la santé et le droit au logement ».
L’expression « faire un doigt d’honneur » désigne un geste consistant à lever, avec malveillance, un majeur tendu à la verticale, pour évoquer une pénétration sexuelle, le plus souvent une sodomie. L’origine de ce geste reste mystérieuse. On sait en revanche qu’il avait déjà cours chez les Grecs de l’Antiquité qui l’appelaient « katapygon » ; un terme associant les mots « kata », qui signifie « vers le bas », et « pugē » qui veut dire « croupe » ou « fesses ». Le doigt d’honneur était appelé « digitus impudicus » (doigt impudique) chez les Romains qui, selon certains chroniqueurs, portaient des bagues à tous leurs doigts, sauf sur le majeur, utilisé pour cette insulte infamante.
Au Moyen-Age, pendant la guerre de Cent Ans, les archers anglais, par défi, montraient de loin deux doigts dressés aux chevaliers français qui craignaient leurs flèches. Redoutés pour leur efficacité, les archers qui étaient capturés par les Français voyaient leur majeur amputé, afin de ne plus pouvoir tirer à l’arc. Leur geste provocateur avait manifestement une origine distincte de celle du doigt d’honneur. Mais sans doute a-t-il fini par se confondre avec lui.
Certains textes français du XVIIe siècle mentionnent ce signe insultant en utilisant l’expression « montrer un doigt ». Elle s’est progressivement transformée en « faire un doigt », mais on ignore à quel moment précis la formule « doigt d’honneur » fut adoptée. Le premier document montrant un doigt d’honneur est une photographie de 1886. On y voit un joueur de baseball des Boston BeanEaters, du nom de Charles Radbourn, posant parmi ses camarades, brandir son majeur en direction de l’objectif. Le photographe américain Jeremy Corbie, auteur du cliché, est ainsi, bien malgré lui, entré dans l’Histoire.
Il est intéressant de noter que, le 24 février dernier, dans un jugement d’une trentaine de pages, un juge de la cour du Québec a acquitté un homme accusé d’avoir harcelé et menacé son voisin en lui adressant un doigt d’honneur. Il a estimé que faire ce geste est un droit fondamental qui fait partie de la liberté d’expression, même ce n’est pas « poli ». Selon lui, « ce droit fondamental, inscrit dans la charte des droits et libertés, appartient à tous les Canadiens ».
Notons encore qu’en Grèce, le doigt d’honneur n’a plus cours. Il a été remplacé par la « moutza » qui consiste à tendre la paume de la main, doigts tendus, dans la direction d’une personne pour la maudire. Dans sa version encore plus offensante, on utilise les deux mains. Ce geste serait issu d’une pratique byzantine qui consistait à enduire de cendres le visage des condamnés, avec le plat de la main , en signe d’infamie.