La petite histoire des mots
Grève

L’aéroport international de Genève, le deuxième du pays, a été le théâtre d’une grève historique la semaine dernière. Pour la première fois dans les annales de l’entreprise, des voyageurs ont été privés de vol par le personnel qui revendiquait des hausses de salaires. Certains passagers ont ironiquement fait remarquer qu’ils se seraient crus en France où ce genre de pratiques est devenu presque banal. Dès lors, personne ne sera étonné de découvrir que le mot « grève », ainsi que l’expression « faire grève » sont bien nés chez notre grand voisin, et plus précisément à Paris. Mais peut-être certains seront-ils surpris d’apprendre qu’il n’y a pas si longtemps « faire grève » voulait dire « chercher du travail » et non pas l’interrompre pour défendre des revendications
A l’origine du mot « grève », on trouve le vieux mot gaulois « grava », passé au latin vulgaire, qui désignait, et désigne toujours, une grève, autrement dit espace littoral couvert de galets ou une plage de sable grossier. Quel rapport avec la grève d’un groupe de salariés syndiqués ? Aucun ! Si ce n’est qu’au XIIe siècle, à Paris, on a baptisé « place de Grève » un espace près de la Seine où les crues du fleuve provoquaient régulièrement des inondations qui laissaient des dépôts de galets et de sable. L’endroit était fréquenté par des bateliers qui chargeaient et déchargeaient des marchandises et qui cherchaient parfois de la main d’œuvre pour ce travail.
C’est ainsi que les Parisiens en recherche d’une activité journalière rémunérée prirent l’habitude de se réunir en place de Grève pour offrir leurs services. Progressivement l’expression « faire grève » prit le sens de chercher du travail. Au XIXe siècle, cependant, avec la révolution industrielle, ces rassemblements prirent un tour de plus en plus revendicatif et l’expression finit par prendre le sens qu’on lui connait aujourd’hui : cesser de travailler de manière concertée dans le but de se faire entendre.
De nos jours, la place de Grève a perdu son nom originel : elle s’appelle place de l’Hôtel-de-Ville – esplanade de la Libération. Elle est davantage fréquentée par les touristes que par les grévistes. Quant à la Seine, elle a été entièrement canalisée entre 1839 et 1939.
Il est intéressant de noter qu’en anglais « grève » se dit « strike », dérivé du verbe « to strike » qui signifie aussi « frapper ». L’utilisation de ce terme pour décrire une protestation de travailleurs est apparu pour la première fois en 1768, lorsque des marins anglais, en soutien à des manifestations contre le roi « frappèrent » (abaissèrent) les voiles des navires marchands dans les ports pour empêcher leur départ. Le mot fut adopté par la langue allemande sous la forme « Streik » quelques décennies plus tard.
Terminons sur cette piquante citation du regretté Coluche : « Les syndicalistes ont tellement l’habitude de ne rien faire que lorsqu’ils font grève, ils appellent ça une journée d’action ».