La petite histoire des mots
Pantouflage

D’honorables conseillers fédéraux qui se recyclent dans les conseils d’administration de grosses entreprises aussitôt sortis du gouvernement, et qui sont généreusement rémunérés ; des magistrats cantonaux qui touchent de lucratifs jetons de présence après avoir quitté la politique : la pratique du « pantouflage » est très répandue en Suisse, selon une enquête de l’émission Temps présent, diffusée la semaine dernière sur la TSR.
Le terme « pantouflage » désigne de manière plutôt péjorative le fait pour un haut fonctionnaire de l’Etat de déserter son poste pour aller travailler dans une entreprise privée, afin d’y gagner de coquettes sommes. Il s’applique aussi aux élus qui, à la suite d’un échec électoral, par exemple, trouvent une place dans le privé avec des responsabilités limitées mais avec un gros salaire à la clé, compte-tenu de leur notoriété,
Le mot « pantouflage » est né dans la France d’après-guerre. A l’origine, la « pantoufle » désignait, dans l’argot de l’Ecole polytechnique, l’une des sept grandes écoles militaires françaises, le fait de renoncer à toute carrière au sein de l’appareil de l’Etat, à la fin de ses études, pour passer directement dans le privé, ainsi que le montant à rembourser pour ne pas avoir respecté l’engagement pris de travailler au moins dix ans aux profit d’un service officiel. L’expression « trouver une pantoufle » a fini ainsi par signifier « quitter le service de l’Etat pour entrer dans le secteur privé ». Le verbe « pantoufler » et le substantif « pantouflage » ont suivi.
Les pantoufles, qui ont inspiré tout ce vocabulaire sont évidemment de simples chaussures d’intérieur que l’on met chez soi pour être à l’aise et profiter « bien pépère » de son temps de repos. Le mot existe dans la langue française au moins depuis le XVe siècle, sous sa forme actuelle pour désigner des chaussures d’intérieur en tissu ou en cuir souple, ou sous la forme « panthoufles » pour désigner des chaussures à semelle épaisse et à haut talon. Le mot « pan », issu de latin « pannus » – qui a donné « pagne » – signifiait « bout de tissu ». Le suffixe « oufle » caractérise, quant à lui, des objets qui ont été gonflés ou « soufflés », comme « moufles », notamment.
Apparu au XIXe siècle, le mot « pantouflard » a d’abord désigné un militaire planqué qui n’allait pas au feu, avant de définir un individu paresseux, qui passe sa vie dans ses pantoufles, et qui aime le confort et la tranquillité. Celui qui pratique le pantouflage n’est pas forcément un pantouflard. Mais son activité est souvent une bonne planque et les revenus qu’il en tire sont souvent « gonflés » (comme les pantoufles), par rapport à son implication réelle.
Terminons par cette jolie citation attribuée à un obscur politicien français de province qui aurait sans doute mérité davantage d’audience : « Bien plus que le bruit des bottes, je crains le silence des pantoufles ».


