La petite histoire des mots
Patrimoine
La nouvelle a fait peu de bruit : la semaine dernière, après six années de travail, la chercheuse Béatrice Lovis a quitté la présidence de la section vaudoise de Patrimoine suisse. Dans son dernier message, elle constate que la situation générale du patrimoine bâti et paysager du canton s’est passablement détériorée, depuis 2017. Elle regrette le peu de moyens attribués à la préservation de notre héritage commun.
Le mot « patrimoine », qui nous intéresse aujourd’hui, comprend les biens de la famille, les biens hérités de ses parents, mais aussi tout ce qui est considéré comme l’héritage commun d’une communauté. Ce terme nous vient du latin « patrimonium » qui, au pied de la lettre, veut dire « l’héritage du père ». Chez les Romains, qui vivaient dans une société patriarcale stricte, « patrimonium » désignait exclusivement l’héritage que l’on tenait de son père et que l’on transmettait à ses enfants. Le mot avait alors une signification de bien individuel, étant issu de « pater » (le père) et de « munio » (doter).
Ce n’est que relativement récemment que « Patrimoine » a fini par prendre aussi le sens de bien commun, matériel ou immatériel. Jusqu’à la Révolution française, ce mot n’était utilisé que dans sa seule signification d’héritage transmis. Son sens public et partagé n’apparut pour la première fois que le 2 octobre 1789, lorsque la première Assemblée constituante française décida de saisir les biens du clergé au profit de la Nation. L’expression « patrimoine national » fut alors prononcée.
Il fallut cependant attendre près de deux siècles encore avant que l’UNESCO (Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, les sciences et la culture), dont le siège est à Paris, n’adopte en 1972 un traité international pour placer sous la protection de l’humanité tout entière le « Patrimoine mondial culturel et naturel ». De nos jours, des centaines de biens réels ou immatériels figurent dans la liste de l’UNESCO.
Voilà pour « patrimoine » ! Mais qu’en est-il pour l’héritage légué par les femmes en général et par les mères en particulier ? Hé bien le mot « matrimoine » existe lui-aussi et, contrairement à ce que pourraient penser certains messieurs, il n’est pas le fait de féministes avides d’égalité. Emprunté au latin « matrimonia », terme qui définissait l’ensemble des femmes mariées, « matrimoine » est avéré dans la langue française sous la forme « matremuine » dès le milieu du XIIe siècle pour désigner l’ensemble des biens et des droits hérités de la mère, par opposition à ceux du père. Le mot a pris sa forme définitive au début du XIVe siècle. Dans un monde dominé par les hommes, « matrimoine » a cependant fini par être supplanté par « patrimoine » et n’est plus guère utilisé de nos jours, sauf dans quelques textes littéraires.
Considérant cependant que notre héritage culturel est constitué de notre patrimoine autant que de notre matrimoine, des femmes et des hommes, issus surtout des milieux culturels, se battent pour la réhabilitation de la notion de matrimoine, afin de se réapproprier cette part de notre héritage qui nous vient des femmes. Selon eux, les femmes architectes, sculptrices, peintres, compositrices, écrivaines, poètes, dramaturges, chorégraphes, réalisatrices, etc. ont toujours existé. Mais elles ont souvent été oubliées, voire effacées de l’Histoire de l’humanité.