La petite histoire des mots
Paresse

Les Français sont-ils de fieffés paresseux, allergiques au moindre effort et ennemi du travail ? La question peut sembler indélicate, voire blessante à l’endroit de nos voisins. Elle est néanmoins posée sans détour par plusieurs grands journaux étrangers. C’est le cas, par exemple, du très sérieux New York Times qui constate que, non contents d’être déjà les Européens qui travaillent le moins, les Français s’étranglent de colère, battent le pavé et font grève à l’idée de devoir prendre un jour leur retraite à 64 ans, alors que la quasi-totalité des travailleurs du Vieux Continent ont déjà franchi ce cap.
Le mot « paresse » désigne le plus souvent une propension à ne rien faire, une répugnance au travail, à l’effort physique ou intellectuel, ainsi qu’une faiblesse de caractère qui porte à l’inaction et à l’oisiveté. Elle consiste aussi à ne pas avoir envie de faire ce qui est nécessaire pour son propre bien-être et celui des autres. La paresse figure d’ailleurs parmi les sept péchés capitaux reconnus par la chrétienté. Chez les catholiques, pour désigner le péché de paresse, on parlait jadis d’ « acédie », un terme aujourd’hui disparu du langage courant qui désignait une faiblesse de l’âme due à un relâchement moral et spirituel.
A l’origine du mot « paresse » on trouve le verbe latin « piger » qui signifie « répugner à », ainsi que le substantif « pigritia » qui désigne l’indolence, le repos, ainsi que la paresse, celle notamment de l’estomac, un trouble fonctionnel digestif caractérisé par un ralentissement de la vidange stomacale. La médecine moderne a donné le nom de gastroparésie (paresse du ventre en grec) à ce syndrome. Faut-il en déduire que de la vidange de l’estomac à celle de la volonté il n’y a qu’un pas ? Peut-être …
« Pigritia » a donné « pigrizia » en italien. Au XIIe siècle, en français, ce terme s’était transformé en « peresce » et en « parece » pour définir une disposition durable à ne pas travailler, ainsi qu’une forme de mollesse mentale. La mot prendra sa forme actuelle cinq siècles plus tard. On le trouvera notamment dans les pièces de Molière pour évoquer la fénéantise et la lenteur intellectuelle.
Mais revenons à notre question : les Français de cette première moitié du XXIe siècle sont-ils vraiment paresseux ? La réponse reste ouverte… Relevons cependant, à l’instar de quelques sociologues, que depuis des décennies, les syndicats et certains partis politiques français glorifient l’emploi, ennemi du chômage, mais dévaluent le travail très souvent décrit comme une corvée avilissante qui esquinte la santé.
Aux antipodes de cette perception, nombre de Suisses auraient plutôt tendance à penser qu’un emploi n’est jamais qu’une « coquille » qu’il faut bourrer de travail pour lui donner un contenu. En 2012, nos voisins tricolores avaient été stupéfaits de constater que, dans les urnes, les Helvètes avaient célébré le boulot en refusant six semaines de vacances pour tous. A l’époque, Jean-Luc Mélenchon avait même déclaré que les « pauvres Suisses » (sic) avaient été manipulés par le patronat.
Terminons par cette citation de l’humaniste et philosophe italien Leone Battista qui vécut au XVe siècle et n’eut de cesse de condamner la paresse : « Par l’oisiveté les veines s’emplissent de lymphe, devenant aqueuses et blafardes, l’estomac se débilite, les nerfs s’engourdissent, le corps s’alourdit et s’endort. De plus, trop d’inactivité rend l’esprit gras et confus et les vertus ternes et inertes ». Aujourd’hui, les descendants de Battista, comme tous les Italiens, prennent leur retraite… à 67 ans !