La petite histoire des mots
Fantoche

Le 24 février prochain, abstraction faite du conflit armé qui se déroulait depuis 2014 dans la région du Donbass, la guerre entre la Russie et l’Ukraine entrera dans sa deuxième année, avec son lot d’exactions, d’exodes et de victimes civiles et militaires. On sait aujourd’hui que le président Vladimir Poutine, manifestement mal informé, estimait que son « opération spéciale » serait une simple promenade militaire. Il pensait pouvoir occuper le pays en quelques jours, se débarrasser du gouvernement démocratiquement élu pour installer à sa place un régime « fantoche », assujetti à son bon vouloir.
Le mot « fantoche » définit une chose, une personne ou un groupe manipulés et soumis à un pouvoir tiers. Il peut aussi désigner un individu inconsistant, servile et influençable. Il signifie tout simplement « pantin ».
Au XIX e siècle, la langue française l’a emprunté à l’italien « fantoccio » qui veut dire « marionnette ». En italien, ce mot désigne plus généralement toute figure humaine, petite ou grande et plus ou moins bouffonne, sommairement sculptée dans du bois.
Il est intéressant de noter que ce terme est un lointain dérivé du latin « infans » qui signifie « enfant » mais qui, chez les Romains, avait aussi le sens de « petit guerrier ». Pris dans son sens littéral, « infans » signifie aussi « muet », dans la mesure où il est formé du préfixe privatif « in » et de « fans », le participe présent du verbe « for » qui veut dire « parler ».
En italien, « Infans » a donné le mot « fante » qui aujourd’hui désigne à la fois le valet d’un jeu de cartes et aussi – conséquence de sa multiple définition latine – un soldat qui se déplace à pied. Toujours en italien, « fante » a évolué en « fantoccio » pour désigner, comme nous l’avons vu, une marionnette de bois, et en « fantaccino » pour définir un soldat de l’infanterie. Au XVIe siècle, ce dernier terme a d’ailleurs été emprunté par le français qui l’a transformé en « fantassin ».
Il n’est sans doute pas fortuit de constater cet apparentement étymologique entre les mots « enfant », « fantoche » et « fantassin ». Les trois termes désignent des individus sensés obéir en silence à ceux qui les commandent : les enfants à leurs parents ou à leurs tuteurs (c’était le cas en tout cas jusqu’à un passé récent); les fantoches aux marionnettistes qui en tirent les ficelles, et les braves fantassins à leurs supérieurs, à fortiori lorsque leur chef s’appelle Poutine ou Prigojine, fondateur du sinistre groupe Wagner qui n’a pas hésité à faire exécuter, à coups de masse, l’un de ses membres accusé de désertion.
Le mot « fantoche » est très en vogue actuellement. A Moscou d’abord, pour désigner l’Ukraine et les pays qui ont pris le parti de la soutenir. Pour les propagandistes du Kremlin, les Occidentaux et l’Ukraine, systématiquement qualifiés de dégénérés et de nazis, ne sont que des « fantoches » manipulés par Washington. Les démocraties occidentales, de leur côté, qualifient de « fantoches » les groupes pro-Poutine du Donbass ainsi que les gouvernants biélorusses inféodés à Moscou.
Selon le dramaturge français Georges Courteline, « il est certain que, quoi qu’on fasse, on est toujours le fantoche de quelqu’un. C’est un malheur dont on ne meurt pas ». S’il vivait aujourd’hui et pouvait voir ce qui se passe du côté de l’Ukraine, sans doute aurait-il renoncé à la seconde partie de sa formule.