La petite histoire des mots
Georges Pop | Il ne se passe plus un jour sans que le mot « guerre » ne surgisse dans les journaux ou ne soit entendu sur les chaînes d’informations. Ce terme sinistre fait désormais partie de notre quotidien. Il y a bien sûr la guerre en Ukraine, que Moscou continue cyniquement d’appeler « opération militaire spéciale », mais aussi le risque d’une mondialisation du conflit, voire d’un recours par les Russes à des armes nucléaires tactiques ; sans même parler de la guerre de l’information qui fait rage de part et d’autre.
Mais d’où nous vient le mot « guerre » ? Pas du grec, puisque dans la langue d’Homère « guerre » se dit « pólemos », aussi bien dans la langue ancienne que moderne. En français, ce terme nous a donné des mots tels que « polémique » et « polémiste ». Une polémique désigne une dispute ou un débat qui peuvent parfois être vifs. Mais il ne s’agit que d’un conflit d’idées. Quant au mot « polémiste », il a souvent été attribué ces derniers mois à Eric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle française, dont les idées ont été dénoncées comme « violentes » par ses opposants.
Le mot « guerre », n’est non plus pas issu du latin. Les latinistes ont tous en mémoire la locution « Si vis pacem, para bellum » qui veut dire « si tu veux la paix, prépare la guerre ». En latin, la guerre c’est donc bien « bellum ». Ce terme nous a donné des mots tel que « belliqueux », « belligérant », « belligérance » ou encore « bellicisme ». Alors ? Voici la réponse : le français « guerre » dérive d’un vieux mot franc.
Les Francs étaient une peuplade germanique. Au Ve siècle, au moment de la division de l’Empire romain, une partie d’entre eux a conquis le nord de la Gaule romaine et s’y est sédentarisé. Ce sont d’eux que sont issues les dynasties mérovingienne et carolingienne, dont le plus illustre représentant n’est autre que Charlemagne. Ce sont eux encore qui ont donné son nom à la France. En vieux francique, la langue des Francs saliens, qui vivaient à l’origine à l’est du Rhin, le mot « werra » désignait une querelle violente. Adopté par les Gallo-romains, ce terme a été utilisé dès la naissance du français, il y a environ un millénaire, pour désigner une inimitié entre des personnes ou des groupes, puis dans le sens qu’on lui connaît aujourd’hui. Mais il s’est rapidement déformé sur le plan phonétique, le « w » prenant le son « g », avant que le « a » final ne disparaisse au profit d’un « e » muet. Ce mot d’origine germanique a fini par supplanter le mot latin « bellum » qui était trop souvent confondu avec « bellus » qui veut dire « beau » et d’où nous vient, par exemple, le terme « bellâtre » qui révèle un homme au physique avantageux mais superficiel et niais.
Notons au passage que le mot anglais « war » (guerre) est lui aussi un dérivé de « werra ». Ce terme avait d’ailleurs plusieurs sens à l’origine. Il signifiait aussi « confus » ou « mélangé ». Du coup, selon quelques linguistes imaginatifs, « werra » serait aussi un lointain aïeul de l’allemand « wurst » qui signifie « saucisse », par évocation au mélange de morceaux de viande dont est faite la chair à saucisse. L’hypothèse est quelque peu tirée par les cheveux, mais elle a le mérite de proposer une analogie entre la chair à saucisse et la chair à canon, expression qui désigne toutes celles et ceux qui, à chaque guerre, sont si stupidement et inutilement sacrifiés.