La petite histoire des mots – Impérialisme
Georges Pop | Selon le philosophe Michel Eltchaninoff, rédacteur en chef du mensuel « Philosophie Magazine » et grand connaisseur de la Russie, les discours tenus par Vladimir Poutine, depuis son retour à la présidence russe en 2012, contiennent les germes de la déstabilisation de l’Ukraine. Selon lui, le maître du Kremlin est enfermé dans une idéologie « impérialiste et belliqueuse ». Il n’entre pas dans nos intentions de réunir ici des arguments pour lui donner tort ou raison, mais plutôt de se pencher sur les termes « impérialiste » et « impérialisme », très connotés idéologiquement, dans la mesure où ils sont couramment utilisés dans la propagande internationale pour dénoncer et discréditer la politique étrangère d’un adversaire.
Dérivé du latin « imperium » qui, dans l’Antiquité romaine désignait la puissance publique et le pouvoir politique, le mot « impérialisme » apparut presque simultanément en français et en anglais (imperialism) au XIXe siècle, d’abord pour définir, de façon neutre, une tendance favorable au régime napoléonien puis, au sens moderne, la politique d’expansion coloniale britannique. Le mot prit une charge très péjorative en 1902, après la parution d’un livre intitulé « Imperialism : A Study » de l’économiste et sociologue anglais John Atkinson Hobson. Dans ce discours politico-économique sur les aspects financiers, économiques et moraux néfastes de l’impérialisme en tant qu’entreprise commerciale nationaliste, l’auteur soutient la thèse que c’est l’activité commerciale capitaliste qui fait germer l’impérialisme. Cette thèse fut très vite embrassée par les auteurs marxistes de l’époque, comme le socialiste autrichien Rudolf Hilferding, la militante communiste allemande, d’origine polonaise, Rosa Luxemburg et le révolutionnaire russe Vladimir Ilitch Oulianov, alias Lénine, qui dans son livre « L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme », publié en 1917, accuse les grandes puissances capitalistes de son temps de vouloir se partager le monde, ses ressources et ses richesses.
Fortes de cet héritage idéologique marxiste, la gauche et surtout l’extrême-gauche, par la suite, ne qualifièrent d’ « impérialistes » que les seules guerres coloniales ou hégémoniques des puissances occidentales « capitalistes », à commencer par celles conduites par les Etats-Unis et leurs alliés. En revanche les guerres hégémoniques de l’URSS, comme l’invasion de la Finlande, en 1939, celle de la Pologne, la même année, en complicité avec l’Allemagne nazie, ou celle de l’Afghanistan en 1989, échappèrent complaisamment à ce « méchant » qualificatif. Depuis la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’URSS, cependant, le mot « impérialisme » n’est plus le monopole de la gauche. La droite l’utilise aussi, de plus en plus fréquemment, pour dénoncer les expansionnismes belliqueux, celui de Vladimir Poutine, par exemple.
En définitive, peut-être pourrait-on aujourd’hui retenir cette appréciation de l’impérialisme proposée par l’ancien premier ministre français, Pierre Messmer, un homme de droite, ancien militaire proche du général de Gaulle. Engagé dans les Forces françaises libres (FFL), aux heures sombres de l’occupation nazie, il fut après-guerre administrateur colonial en Afrique et organisa la répression pendant la guerre d’indépendance du Cameroun. A propos de cet épisode de sa vie, quelques années avant sa mort, en 2007, il écrivit : « Une fois de plus, la démonstration était faite que toute intervention militaire extérieure porte en elle le germe de l’impérialisme ».