La petite histoire des mots
Oligarque
Georges Pop | La brutale invasion de l’Ukraine, décidée par le président russe Vladimir Poutine, a déclenché une salve de sanctions internationales contre Moscou, surtout de la part des pays occidentaux. Ces sanctions sont notamment dirigées contre les banques, les dirigeants et les « oligarques » russes. Ces derniers, dit-on, contrôlent l’essentiel des richesses du pays, ainsi que la quasi-totalité des médias, dans des conditions souvent opaques, voire douteuses, et soutiennent l’homme fort du Kremlin.
Le mot « oligarque » désigne le membre d’une « oligarchie », autrement dit une petite classe, dominante et nantie, associée au gouvernement, généralement autoritaire, d’un pays. En Russie, depuis la chute de l’Union Soviétique et la transition vers une économie de marché, désormais étroitement contrôlée par le pouvoir, ce terme s’est substitué à celui d’ « apparatchik » qui désignait à la fois un membre de l’appareil d’Etat et un adhérent de la « nomenklatura », les privilégiés des régimes communistes des pays de l’Est, au temps de la guerre froide.
Aujourd’hui, « oligarque » est systématiquement employé par la presse, occidentale notamment, pour décrire, non pas les maîtres despotiques du pays, mais les opulents hommes d’affaires russes assujettis à Vladimir Poutine dont ils contribuent à la fortune, laquelle est estimée, par ses opposants, entre 40 et 200 milliards de dollars ; un montant qu’il est naturellement impossible de vérifier de source indépendante.
En France, « oligarque » a fait son apparition, avec la graphie « olygarche », dans certains essais littéraires sur la monarchie, à partir du milieu du XVIe siècle. Le mot a été emprunté au grec « oligárkhês » qui associe les mot « oligos », qui signifie « peu » ou « peu nombreux », et « arkhê » qui, philosophiquement, définit l’origine et le commencement du monde, ainsi que, plus prosaïquement, le chef, le premier d’une série ou le pouvoir. En français, on retrouve d’ailleurs le préfixe « arkhè » dans le mot « archange » qui, dans la hiérarchie des anges, désigne un ange « supérieur ». Dans la Grèce antique, l’oligarchie, celle de Sparte, par exemple, supposait la division des citoyens en plusieurs classes, dont l’une seulement participait au gouvernement. Elle se distinguait de la « tyrannie », le pouvoir, par la force et sans légitimité, d’un homme seul, qualifié de « tyran » ; de l’« aristocratie », le gouvernement des « meilleurs » dans lequel le pouvoir était détenu par une élite, ainsi que de la démocratie, le gouvernement par le peuple, née à Athènes. Au sens strict du terme, comme le font d’ailleurs remarquer certains intellectuels russes, les richissimes hommes d’affaires liés au Kremlin, qui se dorent la pilule sur des yachts, séjournent dans de somptueuses résidences, sur la riviera française ou, plus discrètement, en Suisse, et planquent des fortunes considérables dans les banques du Royaume-Uni, ne sont pas des « oligarques », dans la mesure où ils ne sont pas directement associés au pouvoir. Mais dans le monde qui est le nôtre, celui de l’information en temps réel, des réseaux sociaux, des « fake news » et des manipulations, seule une inoffensive « oligarchie culturelle » prête encore attention aux définitions précises.