La petite histoire des mots, par Georges Pop
Orgie
Georges Pop | Les manifestations, parfois violentes, contre les mesures sanitaires liées à la pandémie se sont multipliées ces derniers jours, notamment au Pays-Bas. Vendredi dernier, à Rotterdam, l’une de ces manifestations a dégénéré en émeute. Des voitures ont été incendiées et des manifestants ont jeté des pierres contre les forces de l’ordre qui ont effectué des tirs de sommation. Choqué, le maire de la ville a évoqué « une orgie de violence ». De nos jours, le terme « orgie » est très connoté sexuellement. Il évoque généralement une réunion où l’on se livre à toutes sortes d’excès de table, accompagnés de débordements sexuels, autrement dit une « partouze ». Par extension, cependant, ce mot peut simplement prendre le sens de surabondance lorsque, devant un tableau bigarré, on évoque une « orgie de couleurs » ou, sous un soleil ardent, on se réjouit d’une « orgie de lumière ». « Orgie » nous vient en droite ligne du latin « orgia » emprunté au grec. Chez les anciens Hellènes, l’orgie se référait généralement à certains banquets ou à des fêtes religieuses organisées en l’honneur de Dionysos, le Bacchus romain, dieu de la vigne, du vin, de l’ivresse et de ses excès. Certaines de ces fêtes étaient initiatiques, comportaient des mystères, et il est certain que l’on s’y enivrait, tout en respectant, cependant, certaines règles de maitrise de soi, de crainte de céder aux désirs les plus bas, jugés haïssables et contraires à la morale du temps. En a-t-il été autrement, sous l’Empire romain. C’est possible ! Les Romains, à la différence des Grecs, n’auraient pas su contenir leurs banquets dans les limites d’un rituel. Certains chroniqueurs de l’époque, ainsi que des représentations plus tardives, décrivent ou montrent des convives, partiellement dénudés, en train de boire, manger et vomir, tout en se livrant aux plaisirs de la chair, avec des esclaves ou des matrones consentantes. Il convient cependant de se méfier de certains de ces récits, rapportés par des historiens issus de l’oligarchie sénatoriale qui abhorraient le pouvoir impérial. Certains se sont faits un malin plaisir en présentant les empereurs sous un jour décadent et moralement délabré. Or, il est historiquement acquis que l’Antiquité tardive, à Rome, au moins à partir de la fin du IIIe siècle, fut une époque très puritaine, sous l’influence du christianisme et du stoïcisme qui enseigne que la recherche du bonheur consiste à ne pas céder aux appels du plaisir. Bref, si les orgies du monde romain ne relèvent pas complètement du fantasme, sous Caligula ou Néron, par exemple, elles n’ont concerné qu’une part infime de la population. En effet, il est historiquement acquis qu’une certaine frugalité caractérisait l’Empire romain. L’immense majorité de la population se nourrissait surtout de légumes et de céréales, sous forme de bouillies et de galettes, ainsi que de fruits, parfois d’un peu de viande. Dans la langue française, ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle que le mot « orgie » se chargea de la connotation sexuelle que nous lui connaissons désormais. Ce n’est pas fortuit : certains historiens ont baptisé ce temps le « Siècle des libertins » car, à la cour royale et dans les salons parisiens, la débauche et la luxure y côtoyaient la dévotion et la foi. On y passait de la lecture des Saintes Ecritures à des beuveries puis à de fougueuses parties de jambes en l’air. Sans transition !