La petite histoire des mots
Terrasse
Georges Pop | Le Conseil fédéral a annoncé, la semaine dernière, la mise en consultation de nouvelles mesures d’assouplissement, face à la pandémie, notamment la réouverture des terrasses des restaurants dès le 22 mars, pour autant que la situation sanitaire l’autorise. Le mot « terrasse » est beaucoup plus intéressant que certains ne pourraient le penser à priori. Dans le cas qui nous occupe, il désigne, bien évidemment, la partie d’un trottoir, ou d’une place, devant un café, un restaurant, ou un établissement hôtelier, où sont disposées des tables et des chaises pour l’accueil des clients. Mais ce mot peut aussi s’appliquer à un terrain surélevé, à une surface située au rez-de-chaussée ou à un étage, à l’extérieur d’une maison, comme à certaines cultures aménagées en palier sur le versant d’une colline ou d’une montagne. On parle alors de « cultures en terrasses ». Dans « terrasse », il y a le mot « terre » qui nous vient du latin « terra » et qui désigne le sol sur lequel nous marchons, produisons nos cultures, et enterrons nos morts, ainsi que – avec un « T » majuscule – , la planète qui nous a vu naître et dont nous sommes issus. Partant de là, au XIIe siècle, en vieux français, on trouve le mot « terrace » qui désigne tout à la fois, le sol, un torchis ou une terre à foulon, autrement dit une famille d’argiles dégraissantes, employées par les drapiers du Moyen-Âge pour le foulage des tissus. Certaines de ces argiles sont d’ailleurs utilisées, de nos jours, pour apaiser les troubles digestifs. Intimement apparenté à « terrasse », le verbe « terrasser » peut, quant à lui, signifier remuer, transporter ou dresser des terres pour, par exemple, faire un pavage, fortifier un mur, ou aménager un chemin. Mais, depuis le XVe siècle, au moins, « terrasser » a pris aussi le sens de « jeter à terre » quelqu’un par la force. C’est pourquoi, de nos jours, « terrasser » veut aussi dire vaincre, anéantir ou abattre, notamment un ennemi. Dans l’iconographie chrétienne, par exemple, Saint Georges est souvent représenté à cheval en train de « terrasser » le dragon, en le transperçant de sa lance. Dans les récits, en français, de la mythologie grecque, on raconte qu’Hercule a « terrassé » l’Hydre de Lerne, un malfaisant serpent à neuf têtes. Lorsqu’un patient succombe à un cancer, ne dit-on pas qu’il a été « terrassé » par la maladie ? On est décidément bien loin des souriantes « terrasses » estivales, où il fait si bon se goberger, en famille ou avec des amis, devant un rafraichissement, un apéritif où un repas partagé. Pourtant les deux mots sont, étymologiquement, très étroitement liés. Alors que le printemps s’annonce, nous avons tous la nostalgie des terrasses ensoleillées. Comme l’a écrit le grand acteur britannique Alec Guiness, inoubliable dans son interprétation du colonel Nicholson dans le film « Le Pont de la Rivière Kwaï », et adulé par des générations de spectateurs plus jeunes pour avoir incarné Obi-Wan Kenobi, dans la saga Star Wars, « Le paradis, c’est d’être assis à la terrasse, un soir d’été, et d’écouter le silence ». Certes ! Mais avant d’en arriver là, il va falloir encore s’épauler et faire preuve de patience, pour parvenir, enfin, à « terrasser » ce maudit virus qui, depuis plus d’une année, nous empoisonne au propre comme au figuré.