La petite histoire des mots
Hystérie
Georges Pop | A la fin de la semaine dernière, le conseiller fédéral Ueli Maurer a appelé les Suisses « à ne pas céder à l’hystérie » face à la multiplication inquiétante des cas de Covid-19. « Hystérie » est un mot intéressant à plus d’un titre. Utilisé souvent de façon abusive, il exprime, au figuré, un état de grande nervosité, voire de panique. Au propre, il désigne un trouble névrotique aux tableaux cliniques variés, parfois bénins, où le conflit psychique peut s’exprimer par des symptômes physiques d’ordre fonctionnel ou psychologiques, comme des crises émotionnelles ou encore des phobies. Le mot est apparu dans la langue française au début du XVIIIe siècle, dérivé de l’adjectif « hystérique », issu du latin « hystera », lui-même dérivé du grec « hyster » qui veut dire matrice ou utérus. Quel rapport avec l’appareil reproducteur féminin ? Eh bien la réponse à cette question réside dans le fait que, jadis, on pensait que ce trouble, alors jugé exclusivement féminin, était lié à un dysfonctionnement de l’utérus. Cette croyance, établie par les Egyptiens de l’Antiquité, fut reprise par le médecin grec Hippocrate, dans l’un de ses traités, puis proclamé par le philosophe Platon qui, dans l’une de ses œuvres maitresses, décrivit en ces termes les causes de ce trouble : « La matrice est un animal qui désire ardemment engendrer des enfants ; lorsqu’elle reste longtemps stérile après l’époque de la puberté, elle peine à se supporter, elle s’indigne, elle parcourt tout le corps, obstruant les issues de l’air, arrêtant la respiration, jetant le corps dans des dangers extrêmes, et occasionnant diverses maladies, jusqu’à ce que le désir et l’amour, réunissant l’homme et la femme, fassent naître un fruit et le cueillent comme sur un arbre ». Ces préjugés misogynes s’amplifièrent encore au Moyen-Âge, les femmes jugées hystériques étant, en ces temps, considérées comme possédées par le démon et, en conséquence, soumises à de brutaux exorcismes, ou pire, tuées pour sorcellerie. Il fallut attendre le XVIIe siècle pour qu’un médecin français du nom de Charles Le Pois émette, enfin, l’hypothèse selon laquelle l’hystérie avait une cause organique, localisée dans le cerveau. Sa théorie fut, dans un premier temps, accueillie avec un certain scepticisme. De nos jours, les préjugés sur la surcapacité des femmes à se montrer hystériques, comparativement aux hommes, n’ont de loin pas disparus. L’écrivain français Jules Barbey d’Aurevilly a contribué à animer la littérature française de la seconde moitié du XIXe siècle. Pourtant, ces quelques mots, écrits par lui il y a plus de 150 ans, gardent aujourd’hui encore toute leur acuité et leur pertinence : « C’est si rare maintenant quand une femme a du tempérament que quand une femme en a, on dit que c’est de l’hystérie ». Pour mémoire, l’expression « avoir du tempérament » signifie juste avoir du caractère ; avoir un e personnalité forte et être de nature à se faire respecter. Quant aux Suisses, auquel s’adressait Ueli Maurer, on peut certes les taxer, parfois, de négligence, face à la pandémie, mais sûrement pas d’hystérie. Non ?