La petite histoire des mots
Monolithe

Georges Pop | La semaine dernière, le moteur de recherche Google a exclu de son service de navigation virtuelle, Google Street View, les images qui permettaient de visiter virtuellement le site d’Ayers Rock, l’énorme monolithe de couleur rouge situé dans le centre de l’Australie. Google s’est ainsi plié à la requête du peuple Anangu, les aborigènes qui sont les propriétaires traditionnels de ce site qu’ils considèrent comme sacré, sous le nom d’Uluru. Voilà qui nous amène au mot « monolithe » qui désigne un bloc de pierre massif de grande dimension, constitué d’un seul élément. Ce bloc peut être naturel ou issu de la main de l’homme. Le monolithe d’Ayers Rock et le mont Augustus, également situés en Australie, sont considérés comme les plus grands monolithes naturels du monde. Les menhirs et les monumentales obélisques égyptiennes répondent, cependant, également à la définition du monolithe. Le terme est, semble-t-il, apparu dans la langue française vers le XVe siècle, mais son usage est resté rarissime jusqu’au XVIIIe. « Monolithe » est un dérivé du latin « monolithus », lui-même emprunté aux mots grecs « mónos », qui signifie « seul », et « líthos » qui veut dire « pierre ». Au figuré, l’adjectif monolithique peut désigner un programme, un groupe, voire un parti politique qui ne forment qu’un seul bloc. Une idéologie peut, par exemple, être qualifiée de monolithique, lorsqu’elle est particulièrement rigide, voire intolérante. Le mot grec «lithos» a d’ailleurs accouché de toute une famille de termes français, surtout dans le domaine des arts et des sciences: la lithographie est une technique d’impression qui permet la reproduction à de multiples exemplaires d’un tracé exécuté à l’encre ou au crayon sur une pierre; la lithosphère est la couche extérieure de la croute terrestre; la lithothérapie est une pratique, non reconnue scientifiquement, qui prétend soigner par l’utilisation de cristaux ; l’adjectif lithophage définit certains coquillages qui rongent la pierre pour y creuser leur demeure ; la lithospermie désigne une théorie selon laquelle des corps rocheux extraterrestres auraient été le vecteur de l’apparition de la vie sur notre planète ; la lithomancie évoque une divination au moyen de pierres précieuses, etc. Les mots français commençant par le préfixe « litho- » se comptent pas dizaine. La plupart ne sont d’ailleurs compréhensibles que par une minorité d’initiés. Pour en revenir à nos « monolithes », relevons que la plus grosse pierre, faite d’un seul bloc, jamais déplacée par l’homme, est le socle de granit d’une statue équestre du tsar Pierre le Grand à Saint-Pétersbourg. Ce piédestal monumental a été déplacé durant l’hiver 1770 sur le sol gelé, au moyen d’un traîneau métallique glissant sur des rails mobiles pourvus de sphères en bronze de 13,5 cm de diamètre. Il pèserait entre 1500 et 3000 tonnes. Pour terminer sur une note plus poétique, citons le romancier et journaliste Alphonse Karr qui a trouvé le moyen d’utiliser le terme « monolithe » dans un texte consacré au bonheur : « Le bonheur n’est pas un diamant gros comme une maison, c’est une mosaïque de petites pierres dont aucune souvent n’a une valeur générale et réelle pour les autres. Ce gros diamant, cette rose bleue, ce gros bonheur, ce bonheur monolithe, est un rêve ». Voilà ! Qu’on se le tienne pour dit : le bonheur n’est pas fait d’un bloc monolithique mais d’amour et de la somme d’une infinité de modestes satisfactions, ainsi que de petits plaisirs…


