La chronique du petit entrepreneur
Comment devenir un acteur culturel ?

Lucien Meylan | M’a demandé un jeune homme qui tentait désespérément de décrocher des sponsors pour un festival de rap qu’il souhaitait organiser dans la Broye. Mon échange avec lui m’a fait sourire parce que j’arrivais aussi bien à me mettre à sa place, vingt piges, une passion, une vision, qu’à la place du patron de Freymond Peinture Sàrl qui a déjà donné plusieurs centaines (ou milliers) de francs pour le Giron des Jeunesses ou le Triathlon de la Gruyère. Pourquoi soutenir un jeune qui monte un projet un peu bancal, certainement trop ambitieux et qui ne le concernait absolument pas. Et puis, de toute façon, les jeunes qui écoutent du rap, ils sont bourrés et ils s’en cognent de ma bâche le long du parking. Peut-être, sûrement, et alors ?
Nous vivons dans une société où la culture est segmentée. Certaines huiles prétendent maîtriser l’art, le vrai. De l’exposition au théâtre, l’élite éveillée, académique, sait dire, elle, si c’est de la culture ou une sorte de divertissement pour les petits gens. En Suisse romande, nous sommes fragmentés par des croyances et des biais absolument infondés qui disent que la culture est réservée à une certaine partie de la population. Nous ne lisons plus, nous n’allons plus (ou trop peu) voir des spectacles. D’ailleurs, heureusement qu’il y a le Cirque Knie, sinon ces pauvres gamins ne mettraient jamais un pied sur un gradin, avant que l’euphorie de Paléo ne les emporte.
Heureusement, il y a les festivals « off » des grandes entités de Lavaux et de la Riviera pour permettre à quelques ahuris de gratter un moment de scène avec un public plus ou moins intéressé. La culture divise et c’est bien là son rôle. Parce que soyons honnêtes, parfois, on n’y comprend rien. Ou alors, les protagonistes sont mauvais. Je m’amuse toujours à trouver une scène de stand-up ou une pièce de théâtre lorsque je voyage en France. Régulièrement, je ris aux éclats et de temps en temps, c’est nul. Mais NUL ! Et ce n’est pas grave. J’ai payé 15 ou 20 euros. Je m’en remettrai. Mais j’adore cet aspect expérimental, de ne pas savoir, de me réjouir, de découvrir un nouveau truc, parce que c’est ça, la culture.
En Suisse romande, nous sommes contraints de sortir jusqu’à nonante francs pour regarder un spectacle à Lausanne, à Genève, à Pully, à Neuchâtel ou à Fribourg, sans compter le trajet – oui, parce que ça aussi, ça nous emmerde. Mais qu’est-ce qui coûte si cher ? La production, les acteurs, l’équipe technique ? Oui. Et puis ce qui coûte aussi, c’est la communication, la responsable presse, l’énergie pour nous donner envie et nous traîner dans une salle de spectacle, comme si c’était un supplice. Parce qu’à choisir entre reprendre une bouteille de bordeaux à trois-cent balles ou aller au Ballet Béjart, le choix est vite fait, n’est-ce pas Messieurs.
Heureusement, les entreprises locales soutiennent les petits événements, là où les fonds culturels et l’Etat n’imaginent pas y mettre les pieds. Un spectacle de danse dans une grande salle de village, un festival électro dans un jardin ou une patinoire sur des courts de tennis… Les PME répondent présentes parce que souvent, à leur tête, il y a un homme ou une femme qui a aussi eu des impulsions, des rêves, des envies. A vingt ans, on ne pense pas forcément à monter son business de courtage en immobilier. Non. On a besoin de rassembler, de générer des émotions, de se planter ou au contraire, de réussir. Parce que parfois, ça marche et c’est fabuleux.
Alors merci aux PME qui mettent mille ou cent francs dans des initiatives et des projets culturels. Concrètement, vous ne soutenez pas seulement une manifestation, petite ou grande, vous entretenez la flamme. La flamme de personnes qui ont de l’énergie, des idées et qui s’accrochent pour qu’on ait des lieux où se retrouver, rire, boire, manger et partager.
D’ailleurs, ce soir, je vous donne rendez-vous à Sapin Blanc, sur les courts de tennis à Echallens pour l’ouverture de notre bar d’hiver et de notre patinoire. Là aussi, on a des sponsors et sans eux, rien ne serait possible. Merci, pour toujours.


