La chronique du petit entrepreneur
Pourquoi tu fais encore du foot ?

Lucien Meylan | M’a demandé un type à la fin d’une assemblée générale. Je vous rassure, la question ne venait pas de nulle part. Au contraire, je m’étais tiré une balle dans le pied en refusant un verre de blanc à 18h.
Sacrilège !
« Je peux pas, j’ai l’entrainement ce soir », ai-je rétorqué en laissant planer le mystère. Pour commencer, utiliser le verbe « pouvoir » plutôt que « vouloir » exprime déjà une certaine obsession pour le pinard mais ça c’est une autre histoire. Mais le gaillard en costard enchaina, évidemment. Il était curieux, dans son petit pantalon bleu marine de chez Zara : « Entrainement de quoi ? » – « De foot ». Et là, il a esquissé un sourire.
Ma carrure laisse deviner que je ne joue pas au Lausanne-Sport mais de là à se marrer… Je lui explique alors que je m’entraine deux fois par semaine, que j’ai un match tous les week-ends et surtout, que je fais plus d’une heure de trajet pour chaque combine. Il sourit encore. Le mec commence à m’agacer, avec son cardigan trop serré. « Tu devrais faire du vélo, qu’il ajoute. C’est beaucoup plus simple niveau organisation. Et puis surtout, tu n’as pas besoin de te caler sur les autres ». Mais justement, c’est ça que j’aime, les autres.
J’aime partir à l’entrainement, en plein trafic à la sortie de Lausanne, sous la pluie et me demander pourquoi je m’inflige ça. J’adore arriver au terrain et voir mes entraineurs qui posent des cônes depuis vingt minutes car ils sont encore plus au taquet que moi. Mais ce n’est pas seulement une passion le foot, ou devrais-je dire, « le fôt ». C’est l’adrénaline avant de rentrer sur le terrain après avoir hurlé à la mort dans un vestiaire trop serré qu’on allait gagner aujourd’hui. C’est la dopamine du premier contact et les chaussettes qui noircissent au premier tacle. C’est la bière après le match, avec ou sans victoire, pour se rappeler que justement, on ne joue pas au Lausanne-Sport.
Le fôt, c’est sanguin. Depuis l’âge de 5 ans, tu ne parles que de ça ; dans le bus, à l’école, à la barraque. « Tu vis fôt, tu respires fôt » comme dirait les vieux briscards à la buvette, à la veille d’un derby lorsque les lumières s’éteignent. C’est inexplicable, c’est comme une drogue. Jamais je n’ai envisagé de faire un autre sport, c’est impossible. L’odeur de l’herbe coupée, la joie de ton pote qui a marqué, le bonheur de voir l’équipe adverse qui baisse la tête après le 3-0. C’est l’espoir des juniors qui te regardent t’entrainer, comme si tu étais Luka Modrić, alors que tu es plutôt devenu Luka Sandwić.
Mais surtout le fôt, c’est une petite école de vie. Tu y découvres des valeurs importantes, comme la résilience lorsque tu es sur le banc alors que tu mériterais de jouer. Tu expérimentes la frustration en sortant à la mi-temps parce que tu n’as pas touché le ballon. Tu transpires le courage quand une blessure vient tout stopper, brusquement. Car souvent, c’est une partie de ta vie qui s’arrête en même temps. Le fôt, c’est des repères qui font du bien. Un équilibre sain, avec des copains. C’est un contexte qui te libère l’esprit et fait fuir tes soucis, le temps de quelques longues au coucher du soleil. Je ne lance pas la pierre au vélo mais sur une pelouse, le seul camion qui te dépasse, c’est Yannick qui pique un sprint.