La chronique de Denis Pittet
Fitness

Le fitness – à l’image d’autres – est un endroit merveilleux. Il concentre en son sein un échantillon représentatif de l’espèce humaine. Il exhale des odeurs comme celles de la forêt, sauf que ce n’est pas la forêt.
Mais chut, car voici Marguerite. Marguerite n’a pas d’âge, mais elle n’est plus jeune. Elle teint désormais ses cheveux en gris, dans le secret espoir de passer un jour au blanc et de ne plus avoir à payer les teintures chez la coiffeuse. Comme beaucoup après les Fêtes, Marguerite est contrite de bonnes résolutions. Elle porte un collant noir et ne se sépare jamais de sa petite pochette qui contient ses cartes de crédit, une photo de ses enfants et les clés de sa voiture. Marguerite, avant de venir, s’est passée le corps au baume tranquille. La voilà donc assise sur un vélo couché et elle pédale sans aucun effort, persuadée que les calories vont partir comme le miracle de Noël. Elle doit faire attention de ne pas tomber tellement elle est amorphe, ni de s’endormir trop vite. Pour cela, elle lit une revue-photo avec des histoires d’amour qu’elle ne vivra plus.
Mais surgit Dorothée ! Alors elle, personne ne va la rater. La trentaine triomphante, le monde lui appartient à Dorothée. Tellement que c’est mieux de le faire partager à tous. Alors Dorothée s’assied posément sur un appareil de musculation – peu importe lequel – et appelle sa collègue au boulot. Elle parle fort pour ne rien dire. Cela ne s’arrête jamais. « Mais ma Chérie vous n’êtes que 3 aujourd’hui… Oh mon Dieu, c’est affreux, cela doit être terrible ». Bon, si c’est si terrible, pose ton Iphone et va la rejoindre, ta collègue.
Quelques mètres plus loin voici Kevin. Lui, il fait sincèrement pitié. Il est tout mal dans son corps, Kevin. Il ne sait pas s’il a des muscles. Il espère, mais il ne sait pas. Alors il soulève avec ses petits bras d’à peine 18 ans des poids trop lourds pour lui. Et il est tellement absorbé par la quête du Graal qu’il oublie le reste de la salle et, seul devant un miroir, il fait les biceps et refait les biceps, et refait les biceps encore car il n’est pas sûr de lui et ne le sera jamais.
Entre temps Cathy est apparue. Alors Cathy, c’est du lourd. Tu vois tout de suite que Cathy, faut pas l’embêter sur quoi que ce soit. Sûre de soi, sûre de plaire, Cathy, en plus, monte des marches des heures durant sans fatigue que tu demandes finalement en quoi elle est faite. Cathy, c’est la reine des neiges, la sportive totale, l’iron man au féminin, la reine de la varappe et de l’ultra trail. Naturelle, sympa, douée. Bref.
Et puis, pour terminer, un mot sur Jean-Paul. Lui aurait pu se marier avec Dorothée mais non, il a 25 ans de plus qu’elle mais il est tout aussi con. Mais pas seulement. Jean-Paul ne dit bonjour à personne et ignore les gueux du fitness. Jean-Paul, c’est Jean-Paul. Cadre dans une multinationale, il sort de sa Porsche Cayenne déjà changé car il ne partage rien avec la plèbe, surtout pas les vestiaires. Il toise le fitness du haut de son arrogance, oubliant même son bidolet qui dans le fond l’enlaidit beaucoup, supporté par de petites jambes toutes blanches et toutes maigres.
Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence. Naturellement.