La « maréchaussée » Burki – du château d’Oron
Témoignages de Jean Badertscher
Episode 2
Le travail de maréchaussée
Propos recueillis par Gilberte Colliard | Un volume édité en 1953 à l’occasion du 150e anniversaire de la gendarmerie vaudoise nous renseigne sur le rôle de ce nouveau corps. En voici un passage intéressant, transcrit en respectant l’orthographe, car il décrit bien ce que fut le travail de Nicolas, puis de son fils François jusqu’en 1803. « Armés d’un fusil à baïonnette, de douze cartouches et si possible d’un couteau de chasse, ces hommes devaient patrouiller assidûment tous les jours sans exception, tant les dimanches que les jours ouvriers, sous peine de cassation, et veiller avec soin sur tous les Rôdeurs, Gueux et Vagabonds étrangers et sans Maîtres… lesquels ils tâcheront de découvrir, de les poursuivre… pour les arrêter ». Ils devaient aussi : « amener comme Rôdeurs, auprès des Seigneurs Baillifs, tous les Garçons de Métier, qui ne seront pas dûment munis de Témoignages et d’Attestation du dernier Maître où ils auront travaillé, et qu’ils trouveront écartés hors du Grand-Chemin… pareillement les Soldats congédiés et Déserteurs étrangers qui rôdent par le Paîs, en guétants ou gueusants ». Caporaux et patrouilleurs ne devaient « pas seulement suivre les Villages et les Grands-Chemins, mais ils devaient aussi faire patrouilles dans les sentiers ou autres chemins écartés, de même que dans les bois, en visitant même de nuit les retraites suspectes ». Un « petit livre » visé par les « chefs des endroits où ils passeront » devait être présenté tous les trois jours « à un des Seigneurs Baillifs ». « Cas arrivant, qu’ils rencontrassent un grand nombre de susdite gueusaille étrangère qui… vint à se mettre arrogamment sur la deffensive, ou qui, après s’être mis dans cette posture, vient à prendre la fuite, il leur sera permis de faire feu dessus, comme aussi sur ceux qui résisteraient avec des fusils, des pistolets de poche, des stilets, des pierres, des bâtons, des perches ou d’autres appareils de cette nature… Au cas que cette Canaille se trouvât attroupée on pourra sonner le tocsin et les Préposés des Communes auront, sous peine de disgrâce Souveraine, à donner du secours de gens armés. Le pays est tellement rempli et surchargé de Gens sans aveu qu’une nécessité indispensable oblige LL.EE. (Leurs Excellences de Berne) à ordonner ce qui suit : il est et sera défendu à jamais, à tous Gueux, Mendiants et Vagabonds étrangers, de quelle espèce qu’ils puissent être; idem à tous Colporteurs et autres Forains, qui peuvent être désignés, sous les noms de Magnins (hongreurs), Chauderonniers, Epiciers, Vitriers, Remouleurs, Vendeurs d’Amadouë, faiseurs et Radoubeurs de chapeaux de paille, Corbeillers, Vergetiers (marchands de brosses), Chansoniers, Galériens, Charlatans et vendeurs d’Orvietan (drogues), Musiciens, Joueurs d’Instruments et autres Rôdeurs et Etrangers de cette trempe; de même qu’à leurs femmes et à leurs enfants, d’entrer dans nos Paîs et Provinces, et d’y séjourner, sous quel prétexte que ce soit ; et cela sous peine irrémissible, pour toutes les personnes qui se trouvent avoir atteint l’âge de 15 ans, d’avoir, pour la première fois, le bout de l’oreille droite fendu. D’être bannis, pour la seconde, après avoir été fouëttez de verges et marquez, au dos, d’un fer rouge et d’être emprisonnés pour la troisième fois, afin que Nous puissions même les condamner à être mis à mort et pendus suivant l’exigence du cas ».
On est particulièrement sévère envers « cette mauvaise race de gens qu’on nomme Egyptiens ou Bohémiens ». En cas de récidive ils s’exposent à « avoir une oreille coupée, à moins que ce ne soit une femme grosse ». A ce défilé, pourtant assez complet des clients de la maréchaussée, une Ordonnance contre la Gueuserie sur le Grand Chemin vient ajouter, en 1761, les enfants « qui presque partout suivent par troupes les voyageurs et les voitures » et « les personnes en âge qui se détachent du travail, pour prendre l’habitude de la fainéantise ». S’ils ne s’abstiennent « doresnavant et pour toujours de mendier sur les grands chemins, et aux barrières ou clédars », les premiers seront « fouettés dans les écoles », « les seconds emprisonné ». Telle étant la « justice de Berne » restée proverbiale. En 1762, elle eut l’occasion de s’exercer contre trois bandes de brigands qui opéraient autour du Jorat, terrorisant une bonne partie du pays de Vaud. L’une des plus dangereuses se recrutait sur les monts des paroisses, alors fort étendues, de Villette et de Lutry. Jusqu’à la fin de l’année, plusieurs fois remis à la question (supplice consistant à suspendre le présumé coupable et à lui attacher aux pieds une pierre toujours plus lourde), 25 de ces détrousseurs furent envoyés aux galères, pendus ou roués vifs. 16 d’entre eux, soumis à ce dernier supplice, eurent dès l’aube, leurs membres brisés sur la roue et ne furent étranglés que le soir. Leurs cadavres devaient rester exposés de juillet à novembre, mais les fermiers des environs de Vidy, incommodés par l’odeur pestilentielle, obtinrent qu’on les enterre plus tôt. Ce terrible exemple n’ayant pas obtenu tout l’effet voulu, LL.EE. tentèrent de « purger le pays de Vaud de ces malvivans » en créant, à l’instar de la France, une maréchaussée à cheval, la seule dont il est fait mention en Suisse. Devant l’inefficacité de cette mesure, on s’en remit aux pasteurs et aux régents « pour adoucir les mœurs ». La règle des 33 dragons n’avait duré que quelques mois; on en revint à la maréchaussée à pied. Sous cette forme, on la trouve dans la république lémanique. Elle y est représentée, aux frontières par des piquets, à l’intérieur par des agents nationaux, secondés par des gardes municipaux fournis par les citoyens de 16 à 64 ans. Dans chaque localité, ceux-ci devaient patrouiller à tour de rôle de jour et de nuit.