C’est à lire – La familia grande
Camille Kouchner
Monique Misiego | J’aime bien regarder la Grande librairie tous les mercredis. Et ce mercredi, il était question de la fille de Bernard Kouchner, qui avait accordé l’exclusivité à cette émission. Bien que plusieurs autres animateurs en aient parlé avant, avec divers intervenants nous livrant leur analyse sur cet évènement. L’évènement en question? le viol du frère jumeau de Camille Kouchner par son beau-père. Déjà là, ça m’interpelle, je me dis que, âgé de 40 ans environ, il pourrait parler lui-même. Puis la chronologie, pourquoi parler maintenant? Si longtemps après? Et ça me met toujours en rogne, ces histoires d’inceste, parce que ce sont les victimes qui doivent se justifier, répondre aux questions que je viens de poser mais que beaucoup vont poser. Donc je décide de me procurer le livre. Pour ne pas me laisser influencer, j’ai décidé d’enregistrer l’émission et de ne la regarder qu’une fois le livre lu. C’est un dimanche après-midi neigeux, j’ai le temps, je viens de finir un autre bouquin, donc totalement libre pour entamer celui-ci. Et là, la claque est immédiate. Camille Kouchner, fille de l’ancien ministre Bernard Kouchner et d’Evelyne Pisier, sœur de Marie-France Pisier, l’actrice. Sœur jumelle de la victime. Et témoin depuis de longues années mais priée de se taire par son frère, celui qui a été abusé. Quand on connait le lien qui lie les jumeaux, on se dit immédiatement que ça a dû être douloureux pour les deux. Puis on apprend que sa mère savait, qu’ils lui avaient dit, et qu’elle n’a rien fait, qu’elle n’a pas réagi sinon en les éloignant d’elle, se faisant passer pour la victime de ses enfants dans la foulée. Le ministre, lui, au moins, voulait lui casser la gueule. Mais le frère ne voulait pas que ça se sache. Puis on apprend que beaucoup de monde savait. Et que c’était presque normal. Parce que dans cette maison du sud de la France où tout le monde se retrouvait pour l’été, la famille plus les amis, les courtisans du beau-père, des politiques, tout le monde voyait ce qui se passait, ce manque de retenue devant les enfants. Quelqu’un disait à la télévision l’autre jour qu’un des côtés pervers de mai 68, c’est qu’il y a eu la liberté sexuelle, mais qu’il y a eu aussi la sexualisation des enfants et des adolescents. Le beau-père photographiait les parties intimes de ses beaux-enfants en les suspendant dans son salon à la vue de tous. Et tout le monde trouvait ça normal. Les adultes se promenaient nus, les grands-parents aussi, une grande famille où il y avait peu de tabous. Allez-vous construire après ça, quand un beau-père vous rejoint la nuit pour vous apprendre la sexualité, pour votre bien. On serait détruit à moins que ça. Camille Kouchner a bien tenté d’alerter ses proches, sa tante l’a écoutée, puis a fini par se suicider. Sa mère, elle, qui a devoir de protection, s’est réfugiée dans un mutisme, refusant de voir ses enfants jusqu’à sa mort. Ce récit donne la chair de poule, mais c’est un mal nécessaire, et le fait que ce soit des gens connus qui soient mentionnés, même si certains prénoms ont été modifiés, fera peut-être avancer les choses. Parce que dans ce cas-là, il n’y a pas de misère sociale, le beau-père fait de la radio, et un professeur à la Sorbonne, une personne respectée de tous. Quand le journaliste lui a demandé pourquoi elle parlait maintenant, elle a simplement répondu qu’elle avait aussi été une victime puisque obligée de porter ce secret et que maintenant elle avait décidé de ne plus se taire et d’obliger ce beau-père à se taire à son tour. Comme les faits sont trop anciens, il ne peut être puni par la justice. Mais obliger un professeur et un homme de radio à se taire, n’est-ce pas une façon de lui rendre une petite partie de la monnaie de sa pièce? C’est un très beau livre, si le mot «beau» peut s’appliquer pour un tel récit, mais très touchant et positif sur certains points tout de même. L’essentiel est de témoigner pour que ces salauds se rendent compte qu’ils ne peuvent plus continuer impunément. Que les victimes ont décidé de ne plus se cacher. La honte doit changer de camp