Histoire – Il y a septante ans, la bataille de Diên Biên Phu
Diên Biên Phu, 7 mai 1954, c’est neuf ans après le déclenchement de la guerre d’Indochine, suite à la proclamation en 1945 de la République populaire du Vietnam par Hô Chi Minh. Au terme de 57 jours de combats acharnés, la capitulation du camp retranché résonne comme un coup de tonnerre dans le monde. C’est la spectaculaire victoire du Vietminh révolutionnaire sur le corps expéditionnaire français. Elle met fin à la « sale guerre » et amène la signature des Accords de Genève, qui vont diviser le Vietnam en deux. Elle galvanise tous les mouvements de libération : ce n’est pas un hasard si, le 1er novembre, le FLN déclenche l’insurrection algérienne.
La visite du site se mérite… Il faut voyager en train de Hanoï à Sapa au Nord du pays, puis jusqu’à DBP, qui est à la frontière laotienne, 700 km, 22 heures de bus local sur une route incroyablement sinueuse : 1000 ? 2000 virages ? Paysages du Haut Tonkin stupéfiants de beauté. On comprend que le « virus de l’Indo » ait gagné tant de militaires français. Rochers karstiques dénudés, petits plateaux de rizières entre des montagnes et collines couvertes de végétation d’un vert intense. Ce fut pendant des années de lutte l’univers, invisible d’avion, du général Võ Nguyên Giáp et de ses ascétiques combattants, les bô doi au célèbre casque de latanier. Parfois aussi, les pentes sont dangereusement dénudées ; elles ont provoqué des inondations catastrophiques : résultat d’une déforestation incontrôlée, de la surexploitation du sol (plantation de cultures « utiles », le caféier notamment) et de la culture sur brûlis pratiquée par les « Montagnards », appellation globale des minorités ethniques. Une maladroite politique de vietnamisation et de spoliation de terres a provoqué en 2001 de graves émeutes au centre du pays. Il semble que la « question ethnique » ait connu depuis une inflexion positive, visant à « l’égalité dans la diversité » : notamment un plus grand respect des cultures locales non viêt, dont témoigne la fréquentation assidue par les classes d’école du magnifique Musée d’ethnographie de Hanoï. Une politique qui n’est pas entièrement désintéressée ! Les ethnies minoritaires occupent des zones frontalières à haute valeur stratégique : le mécontentement pourrait les conduire à demander leur rattachement à la Chine ou leur émigration en Thaïlande… Pour le touriste (très rare au Nord-Ouest), la fréquentation des Thaïs, Hmông ou Dao offre le fascinant spectacle de marchés où éclatent les chatoyants coloris de vêtements superbement brodés.
Mais nous voici arrivés dans le site mythique de la bataille, comme je l’ai fait en 2005. Décevant à vrai dire : DBP, chef-lieu provincial, est aujourd’hui une ville moderne de 80’000 habitants en plein boom économique, où prolifèrent les magasins de motos. La fameuse « cuvette » du camp retranché français est plus vaste que ce que à quoi je m’attendais, même si, comme le notait en 1954 déjà Robert Guillain, journaliste au Monde, on a l’impression d’être dans un stade dont l’ennemi occuperait les gradins… Le choix stratégique du commandement français n’était pourtant pas totalement absurde : obliger l’adversaire à sortir de ses forêts impénétrables, à combattre en rase campagne et « casser le Viet ». C’était sous-estimer sa capacité à acheminer à travers 500 km de jungle (grâce aux célèbres vélos mais surtout aux centaines de camions Molotova fournis par la Chine, communiste depuis 1949), une artillerie lourde et à encercler le camp. Le sort de celui-ci était désormais scellé. Malgré l’héroïsme des paras, des légionnaires, des soldats nord-africains de l’armée coloniale « française », ce ne fut plus qu’un long calvaire. Qu’en reste-t-il ? Quelques épaves de chars rouillés, le bunker du général de Castries, des tranchées et barbelés passablement « reconstitués » (pour ne pas dire truqués), le QG souterrain du général de Castries, un intéressant musée. Et surtout d’émouvants cimetières militaires. Aujourd’hui les oiseaux chantent, les paysannes vont aux champs dans la vaste plaine rizicole fertile, où pourtant semblent errer encore les âmes des milliers de morts de ce Verdun indochinois.
Que faut-il retenir de cette bataille ? Diên Biên Phu sonne le glas du colonialisme pour la France. Alors même qu’elle avait connu une humiliante défaite en 1940, perdu son prestige et sa puissance, elle s’est obstinée à vouloir conserver son Empire. En même temps, la guerre d’Indochine était devenue un enjeu de la guerre froide. Ainsi, les Etats-Unis soutenaient militairement et financièrement l’armée coloniale française. La guerre du
Vietnam se profilait déjà à l’horizon…