Exposition – Le mouvement surréaliste a cent ans !
Plateforme 10 à Lausanne lui consacre quatre riches expositions
« Surréalisme, n.m. Automatisme psychique par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » Déclaration officielle du « Manifeste du Surréalisme » (1924).
Le mouvement surréaliste occupe une place très importante dans la littérature et les arts et, de manière générale, la conscience du XXe siècle. Il jaillit, dans les années 20 et 30, et même au-delà, comme un feu d’artifice. Songeons par exemple aux slogans de Mai 68 (« Il est interdit d’interdire »). Et n’utilisons-nous pas souvent l’expression « C’est surréaliste » ?… Le surréalisme, révolution de la pensée et du langage, est d’abord fondamentalement un refus du monde bourgeois hérité du XIXe siècle. En effet, en 1918, le monde sort d’une boucherie cauchemardesque. Toutes les valeurs de l’ancienne société sont remises en question : L’Art (le classicisme), la Culture, la Morale (en particulier sexuelle), le Patriotisme belliciste, la Religion, le culte de la Science et de la Raison. Certes, le surréalisme n’est pas sorti de rien. Il a des prédécesseurs : le marquis de Sade, Rimbaud, Apollinaire, et surtout le mouvement Dada, fondé par Tristan Tzara à Zurich en 1916, en pleine guerre mondiale. Il s’illustrait par des spectacles provocateurs, comme des concerts sur casseroles, et par la dérision (la Joconde affublée de moustaches par Marcel Duchamp). Il fallait à tout prix « choquer le bourgeois ». Le surréalisme, lui, ira plus loin et inspirera de nombreux créateurs : les poètes André Breton, le « pape » du mouvement (qui prononcera anathèmes et excommunications…), Louis Aragon et Paul Eluard, les peintres Salvador Dali, Giorgio de Chirico, Max Ernst, René Magritte, des cinéastes comme Luis Buñuel, et bien d’autres, que nous ne citerons pas tous ici.
Le surréalisme peut être défini comme une manière d’exploration de l’inconscient et d’une libération totale de l’homme de tous les carcans et tabous. Ses adhérents se sont donc passionnés pour l’inconscient, le rêve et la psychanalyse de Sigmund Freud. L’écriture automatique consiste à noter tout ce qui nous vient à l’esprit, sans contrôle ni barrière morale, intellectuelle, logique. Le surréalisme prône le hasard, les « pétrifiantes coïncidences », écrit Breton dans Nadja, les rapprochements insolites, comme les jeunes filles nues dans des gares de Belgique dans les toiles de Paul Delvaux. C’est aussi une révolution du langage, avec des titres étranges, comme « La sauterelle arthritique ». Certains surréalistes se sont intéressés à l’occultisme. Et le désir sexuel occupe une place importante dans leurs œuvres. Le surréalisme a revêtu aussi des aspects politiques. Si tous les membres du groupe ont condamné la guerre coloniale franco-espagnole dans le Rif marocain, leurs chemins se sont ensuite séparés : Aragon et Eluard vont adhérer au Parti communiste, Breton au trotskisme, tandis que Salvador Dali se rangera du côté de Franco.
C’est tout cela que nous montre la quadruple exposition à Plateforme 10 ! La principale occupe deux étages du Musée cantonal des beaux-arts (MCBA). Elle s’intitule « Le Grand Jeu », parce que le jeu d’échecs, ou de cartes, a tenu un grand rôle dans l’activité des surréalistes. Si l’on n’y trouve que peu de tableaux de grands maîtres, presque tous les aspects évoqués plus haut y sont représentés. Remarquons le remarquable Cygnes reflétant des éléphants de Salvador Dali, Les derniers jours d’Yves Tanguy, les toiles de Victor Brauner et les poupées de Marie Vassilieff. De nombreuses photos de Man Ray permettent de découvrir les visages des principaux acteurs du mouvement. Il faut absolument s’arrêter devant les films muets en noir-blanc des années 1920. Ce sont probablement eux qui permettent de mieux comprendre l’esprit du surréalisme, car ils usent de procédés (trucages, flous, superposition d’images, etc.) inconnus jusque-là. L’étage supérieur est consacré à des œuvres contemporaines s’inspirant du surréalisme.
Je ne m’attarderai pas trop sur Photo Elysée qui rend hommage au génial photographe Man Ray, car un article lui a déjà été consacré dans notre Courrier à propos d’une précédente exposition à Evian. Un certain nombre de ses photographies de mode et de
portraits se réfèrent à sa période « mondaine » parisienne, mais
certaines ont un rapport direct avec le surréalisme.
Enfin on ne manquera pas la visite du Musée des Arts décoratifs (MUDAC), qui présente une exposition intitulée « Objets de désir. Surréalisme & Design », très plaisamment mise en scène. Elle présente notamment, sur fond d’agrandissements de tableaux de Dali ou Chirico, des meubles aux formes improbables inspirés eux aussi par le surréalisme. Toujours au MUDAC, une 4e exposition, nommée « Alchimie. Surréalisme & Art verrier » montre en particulier l’influence majeure de Pablo Picasso.
Plateforme 10, jusqu’au 25 août 2024
Attention ! Il est recommandé de ne pas visiter les 4 expositions le même jour,
sous peine d’overdose. Un même billet donnant accès à toutes reste valable 3 mois