Exposition – La Fondation lausannoise présente la collection du Petit Palais de Genève
Éblouissante exposition de peintures à L’Hermitage

L’Hermitage poursuit son périple à travers les grandes collections privées. Celle-ci, sise dans le Petit Palais, résidence de son propriétaire, a été constituée dès les années 1950 par Oscar Ghez (1905-1998), industriel d’origine juive tunisienne. Elle se démarque par son originalité, la curiosité de l’acheteur, et notamment sa grande ouverture aux femmes artistes, souvent méconnues ou oubliées. Il ne s’est pas contenté de noms célèbres, tels Manet ou Renoir, mais s’est intéressé à des « épigones » de grand talent. L’exposition offre donc de belles découvertes. Son affiche met l’eau à la bouche : c’est le fameux Pont de l’Europe de Gustave Caillebotte (1876), ouvrage en fer surmontant la fumée d’une locomotive entrant dans la gare Saint-Lazare, témoignant de l’intérêt des Impressionnistes pour la modernité. Les personnages qui s’y côtoient ont fait l’objet de diverses interprétations. Le monde de la bourgeoisie est présent, avec Frédéric Bazille et son pendant féminin, Marie Bracquemond, qui excelle dans la peinture des robes vaporeuses en mousseline blanche. Les Néo-Impressionnistes et les Nabis sont superbement représentés, avec notamment Maximilien Luce, qui pratique le divisionnisme des couleurs. De cet artiste ouvert aux questions sociales, on remarquera L’Aciérie (1895), alliant la grande beauté esthétique mais un peu démoniaque des fours et de leurs flammes à la dureté de la condition ouvrière pendant la révolution industrielle. De Maurice Denis, on appréciera les scènes familiales pleines de tendresse mais sans mièvrerie. Dans son Nu couché au tapis rouge (1909), Vallotton reste fidèle à sa vision très froide du corps féminin. Tout le contraire du Fauvisme, qui privilégie les couleurs violentes, comme dans La Jeune Napolitaine (1906) de Charles Camoin. L’ « École de Paris » réserve aussi de belles surprises. Rappelons que, dans ce groupe informel d’artistes, on trouvait Amedeo Modigliani, mais surtout de nombreux Juifs ayant quitté la Russie tsariste, son antisémitisme et ses pogroms : parmi eux, Marc Chagall, Ossip Zadkine et Chaïm Soutine. Quant à Jeanne Hébuterne, elle est surtout connue pour avoir été le modèle et la compagne de Modigliani, et pour son destin tragique (enceinte de lui, elle se suicida peu après la mort de ce dernier). Mais savait-on qu’elle-même fut aussi une peintre de talent ? Son Autoportrait de 1916 révèle par ailleurs la prédilection d’Oscar Ghez pour la figure humaine et le portrait, sans pourtant que les représentations de la nature soient absentes de sa collection. En cela très différent de Vallotton, Suzanne Valadon propose un tableau étrange et assez osé, L’Avenir dévoilé ou La Tireuse de cartes (1912), qui montre une cartomancienne devant une femme allongée nue, à la toison pubienne rousse flamboyante, reposant sur de belles étoffes.
Au sous-sol de L’Hermitage, une série de tableaux provenant souvent d’autodidactes, à la fois proches de l’Art brut, de l’Art naïf et de l’imagerie populaire. Signalons Les Chats sous l’ombrelle rouge (1928) de Ferdinand Desnos, une scène assez fascinante, proche du Surréalisme. Et à nouveau d’étonnantes découvertes, tel le tableau La Mort et la femme (1917), de la Russe Marevna, montrant un soldat à tête de mort en uniforme et portant un pilon en guise de jambe, à côté d’une femme aux vêtements pimpants mais affublée d’un masque à gaz : une dénonciation évidente des horreurs de la Grande Guerre.
L’exposition, d’une extrême richesse, se termine par un abondant ensemble d’œuvres de Théophile-Alexandre Steinlen. La collection en possède plus de 600 ! On retrouve dans l’exposition tous les aspects de sa création : ses fameux chats, en partie liés au cabaret Le Chat Noir, mais aussi les préoccupations sociales de cet anarchiste qui a exalté le souvenir de la Commune de Paris. Et notre parcours se termine par l’immense Apothéose des chats à Montmartre (lieu de départ de l’insurrection parisienne), qui ressemble bien à une grande manifestation révolutionnaire. Mais au passage, on remarquera aussi des dessins qui montrent les cadavres victimes de la grande boucherie de 1914-1918. Le message de Steinlen rejoint donc celui d’Oscar Ghez, qui après 1945 avait inscrit au fronton de sa demeure « L’art au service de la paix ».
« Trésors du Petit Palais de Genève », Fondation de l’Hermitage, Lausanne, jusqu’au 1er juin 2025